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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

pour la légende ; tous ces beaux sentiments-là ne peuvent que vous nuire.

— Vous, Fanny, vous êtes incapable d’éprouver des sentiments de ce genre… Peut-être ignorez-vous comment s’appelle l’acte que nous avons commis tout à l’heure à la tour Verte ?

— Qu’importe le nom ! c’est un acte d’habileté qui vous fait grand honneur, vicomte.

— C’est un VOL ! Fanny, répliqua Cransac avec véhémence ; nous venons la nuit, en nous servant de doubles clefs, dérober à un pauvre diable le fruit de son travail ; nous ne sommes donc, vous et moi, rien de plus que des voleurs… Ah ! poursuivit-il en poussant un soupir, qui m’eût dit que moi, le dernier représentant d’une vieille et noble famille, je tomberais si bas ? Vous et vos pareilles, Fanny, vous nous poussez dans ces abimes de honte.

— Ce pauvre vicomte ! Il tourne décidément au bourgeois vertueux et sentimental… c’est à ne pas le reconnaître. Mais tenez, Hector, j’excuse cette ridicule boutade en faveur de la présence d’esprit, de la haute intelligence dont vous avez fait preuve cette nuit… Demain, au jour, vous jugerez des choses différemment, j’en suis sûre.

Pendant cette conversation, on était arrivé à la porte du jardin sans avoir rencontré personne. Comme Cransac et sa compagne se disposaient à gagner leurs appartements respectifs, Fanny reprit :

— Ah ! çà, Hector, n’allez-vous pas fixer maintenant l’heure du départ ? Notre mission dans ce pays maussade se trouve heureusement terminée, et Bordeaux même me paraîtra désormais un lieu de délices.

— Nous verrons demain… On ne saurait découvrir de sitôt la soustraction que nous venons d’accomplir… Prenons patience.

Et le vicomte rentra précipitamment chez lui.