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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

— En ce cas, je vais vous la dire en peu de mots, pen dant que nous montons cette ennuyeuse pente.

« Vous saurez donc qu’autrefois, au moyen âge, il y avait là-haut un château fort, dont il ne reste plus aujourd’hui que cette tour penchée et à moitié croulante où nous allons. Les sires de Puy-Néré, ses possesseurs, ne paraissent pas avoir joué un grand rôle dans l’histoire ; cependant il est probable que, à l’époque dont il s’agit, époque d’anarchie et de guerres continuelles, ils avaient une certaine importance dans un rayon de quelques lieues autour de leur manoir ; et peut-être, abrités derrière leurs murailles crénelées, ont-ils eu la velléité de se proclamer indépendants et de trancher du potentat, comme tant d’autres hobereaux de province.

« Quoi qu’il en soit, à une date qu’il est impossible de préciser, un seigneur de Puy-Néré avait une jeune femme dont la beauté était célèbre. Dans les réunions de la noblesse, dans les tournois et jusqu’à la cour de France, dit-on, il n’était bruit que de la charmante dame de Puy-Néré. Mais ce que les troubadours, les ménestrels, les pèlerins et les chevaliers errants vantaient en elle, ce n’était pas, comme d’ordinaire, « ses beaux yeux, son doux sourire, ses célestes attraits ; » elle avait tout cela sans aucun doute, mais la légende n’en dit rien ; la légende ne cite qu’une de ses perfections, c’était… son nez. Ce maître nez-là, selon les chroniqueurs, passait pour la huitième merveille du monde. Était-il retroussé comme celui de Roxelane, ou bien était-il aquilin comme celui du père Aubry, ce nez qui, selon Chateaubriand, « aspirait à la tombe par sa propension naturelle vers la terre ;  » c’est là encore un point sur lequel l’histoire garde le silence. Toujours est-il que le nez de la dame de Puy-Néré faisait tourner les têtes ; les troubadours le chantaient sur tous les tons, les chevaliers dans les joutes portaient ses couleurs et rompaient force lances en son honneur ; c’était une des gloires de ce temps-là.