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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

ct Cransac s’arrêta plusieurs fois afin de s’assurer que personne n’était à portée de l’épier. Le village de Puy-Néré, dont on entrevoyait les habitations comme des masses sombres, semblait profondément endormi. Une seule lumière apparaissait, terne et pâle, à une fenêtre, et l’on reconnut que cette fenêtre était celle de Raymond Fleuriot. Cependant cette circonstance n’inquiéta pas le vicomte.

— Tout va bien, reprit-il d’un ton enjoué ; tandis que notre intraitable ami s’escrime là-bas à copier des actes de procédure, il ne songe pas à venir, en vaillant paladin, défendre la tour où son trésor est caché.

— Et nous enlèverons le trésor, répliqua Fanny avec une joie farouche ; je ne saurais vous dire combien j’ai cet homme en horreur à présent !… Mais, encore une fois, Hector, comment ouvrirez-vous la porte du réduit et même la porte extérieure de la tour, que les employés du télégraphe ont la consigne de fermer chaque soir ?

— Puisque nous sommes en plein mille et une nuits, je dirai : « Sésame, ouvre-toi. » Aussitôt verrous et serrures céderont par enchantement.

— Vous êtes insupportable.

Cransac, secrètement blessé de l’opiniâtreté de Fanny à le suivre, à surveiller toutes ses démarches, s’en vengeait par des railleries.

Ce n’est pas le vulgaire Raymond Fleuriot que je compte trouver à la tour Verte, poursuivit-il de son ton moqueur ; c’est la « Dame au nez coupé » que les gens du pays appellent en patois « la Naz-Cisa, » et qui revient, dit-on, chaque nuit, depuis des siècles, dans cette tour où elle est morte… Vous avez certainement entendu parler de la Dame au nez coupé, ma chère ? La mère Fleuriot ou Lucile a dû vous conter cette légende, qui est connue ici de tout le monde.

— Je n’ai jamais entendu parler de cette sotte histoire.