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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

prévenir qu’il y a des revenants dans cette vieille tour, et passer une partie de la nuit en compagnie de ces messieurs pourrait ne pas être de votre goût.

Fanny tressaillit et se rapprocha de son compagnon par un mouvement involontaire. Si hardie qu’elle fût envers les vivants, elle avait, grâce à son éducation première, une extrême frayeur des habitants de l’autre monde. Cransac le devina.

— Voyons, reprit-il de son ton railleur, si le cœur vous manque, vous pouvez encore revenir en arrière, et je suis prêt à vous accompagner jusqu’à votre chambre.

— Vous vous moquez, Hector ; marchons.

— Comme il vous plaira.

Et on continua d’avancer.

La nuit était très-noire ; il n’y avait pas de lune et d’épais nuages couvraient le ciel. Un silence morne régnait dans la campagne, où rien ne pouvait servir de point de repère aux yeux comme aux oreilles. Cransac, à qui les localités étaient familières, suivait sans hésitation le chemin caillouteux bordé de baies où l’on s’était engagé ; mais la jeune femme éprouvait beaucoup de difficulté à marcher ; ses pieds délicats, aux minces chaussures, s’embarrassaient dans de hautes herbes ou se heurtaient aux pierres dont la route était jonchée. Comme on ne songeait nullement à lui offrir le bras, elle le prit sans façon, et alors elle s’aperçut que le vicomte pouvait alléguer une excuse pour son défaut de galanterie. Il était chargé de divers objets, nécessaires sans doute à l’exécution de son entreprise. C’était notamment une lanterne, qu’il ne jugeait pas prudent d’allumer encore, puis différents autres ustensiles de fer qui s’entrechoquaient dans les poches de son surtout.

Bientôt on commença de s’élever sur la pente dont la tour Verte formait le couronnement. Là, une lueur vague permettait d’avancer avec plus de facilité ; en revanche, on risquait d’être vu ou entendu par quelque passant attardé,