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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

le vicomte fût parvenu à la rassurer, soit qu’elle eût voulu faire parade de dévouement en acceptant une part de responsabilité dans cette dangereuse entreprise, elle avait consenti à le suivre.

Tel était donc Hector de Cransac, dont le tilbury, traîné par un pur sang, soulevait des flots de poussière dans l’Avenue de Paris et forçait les honnêtes piétons à se ranger sur son passage. Qui eût pu soupçonner dans ce dandy, comblé en apparence de tous les dons de la richesse et de la naissance, un homme plein de terreurs, à qui ses rêves de jour et de nuit représentaient incessamment de sinistres images ?

Bientôt il atteignit le pont majestueux qui joint les deux rives de la Garonne et le franchit avec rapidité ; puis, remontant les quais, qui s’étendent à perte de vue, il se dirigea vers la place Royale, au centre même de la cité bordelaise. Deux somptueux édifices s’élèvent à l’entrée de cette place monumentale ; l’un est le palais de la douane, l’autre le palais de la Bourse ; ce fut vers ce dernier qu’il guida son cheval. Arrivé devant le perron, il jeta la bride au groom en lui ordonnant de l’attendre, et entra précipitamment.

C’était l’heure des affaires ; une extrême activité régnait dans l’immense salle de la Bourse. Agents de change et courtiers se démenaient autour de la corbeille ; on entendait à chaque instant des cris bizarres qui représentaient « l’offre et la demande » et qui dominaient le bruit sourd des conversations particulières. Des groupes compactes remplissaient la nef, et les personnes qui les formaient étaient tellement occupées de leurs marchés à terme ou au comptant, du cours des trois-six et du cours des raisins secs, que la foudre fût tombée sur le bâtiment sans leur causer une distraction.

Le vicomte essaya vainement de s’ouvrir passage dans cette foule animée ; il ne réussit qu’à soulever des protesta-