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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

se leva de table pour passer au salon, elle lui fit les questions les plus pressantes sur ses projets ultérieurs.

— Ayez l’esprit en repos, ma chère, répondit Cransac en souriant ; votre assistance m’est inutile pour l’exécution de mon plan. Si je réussis, vous saurez tout.

Sans vouloir l’écouter davantage, il alluma un cigare et alla faire un tour dans le jardin.

Fanny était fort intriguée ; quelles pouvaient être les intentions de Cransac ? Elle se perdait en conjectures, et plusieurs fois dans la soirée elle essaya encore de lui arracher son secret. Hector finit par la congédier brusquement et rentra dans sa chambre, tandis que la jeune femme, irritée et mécontente, regagnait la sienne.

Il était en ce moment dix heures du soir, heure très avancée dans ce village solitaire dont les habitants se couchaient à la chute du jour. Fanny renvoya sa femme de chambre, mais elle ne songeait pas à prendre du repos, et elle s’absorba en apparence dans la lecture d’une revue de modes. En réalité elle était attentive au plus léger bruit qui se faisait dans la maison. Soupçonnant que Cransac préparait quelque chose pour la nuit même, elle voulait être de moitié dans cette entreprise quelle qu’elle fût. Le vicomte en effet veillait de son côté, et on voyait un rayon lumineux filtrer de sa fenêtre qui donnait sur la cour. Fanny devina que son associé se défiait d’elle, comme elle se défiait de lui ; sans doute il attendait qu’elle fût couchée et endormie pour donner suite au dessein qu’il méditait.

Pénétrée de cette pensée, elle alla et vint dans la chambre pour faire croire qu’elle se disposait à se mettre au lit ; puis elle éteignit sa lampe et demeura immobile dans les ténèbres.

Près d’une heure s’écoula encore, et elle commençait à croire que ses soupçons n’avaient rien de fondé, quand son obstination reçut sa récompense. Dans cette vieille demeure vermoulue, le moindre mouvement causait des ébranlements