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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

adressa aucune question, mais vint se placer devant elle et la regarda fixement.

— Ce Fleuriot, dit-elle enfin d’un ton sombre, a un bloc de pierre à la place du cœur ; j’ai pourtant employé contre lui des séductions qui eussent bouleversé les hommes les plus impassibles… Habitué à l’inexorable discipline militaire, infalué de son devoir, ne parlant que de sa conscience et de son honneur, il est demeuré inflexible. Vainement l’ai-je ému jusqu’à faire couler ses larmes, vainement l’ai-je blessé jusqu’à faire crisper son front… ce rustre à la volonté de fer n’a pas cédé ! Moi qu’il supposait être une riche et noble dame, entourée du respect de tous, je me suis abaissée devant lui sans obtenir la moindre concession…

Et elle frappait du pied avec rage.

— J’espère pourtant que vous n’êtes pas allée trop loin dans ce manége de coquetterie…

Laissez-moi donc en repos, répliqua brutalement Fanny en détournant la tête, puisque je vous dis que je le hais !

Hector se mit à rire.

— Allons, reprit-il, il n’est pas mal que les jolies femmes comme vous, Fanny, celles qui sont habituées à ce que rien ne leur résiste, rencontrent parfois de ces Catons contre lesquels leurs prestiges sont impuissants… Mais parlons sérieusement : savez-vous du moins où Fleuriot a pu cacher le livre des signaux ?

— Il s’est borné à me dire que son manuscrit était en lieu sûr ; mais j’ai sujet de croire que Lucile a deviné juste et que le livre se trouve dans l’ancien cachot de la tour Verte. En passant, je me suis arrêtée devant la porte de ce réduit, et il m’a semblé tout à fait convenable pour une pareille destination. Comme le disait encore Lucile, vingt hommes ne pourraient forcer sans de longs efforts la porte de chêne et de fer qui en défend l’entrée.