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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

On eût pu également découvrir en lui, dans les premiers temps, une certaine droiture, certaines qualités généreuses ; mais le sens moral s’altère vite au milieu des agitations de la « haute vie, » comme on dil maintenant ; l’honnêteté bourgeoise y passe aisément pour un ridicule, et l’on y prend volontiers l’intrigue et la bassesse pour l’habileté d’un esprit supérieur. Aussi, le jour où le vicomte Hector se vit bien et dûment ruiné, se trouva-t-il exposé aux tentations les plus honteuses dans le but de recouvrer l’opulence passée.

Une autre cause encore devait rendre ces tentations irrésistibles. Cransac s’était affolé, comme il arrive parfois aux plus blasés, de Fanny Grangeret, dont le rôle avait été jusque-là fort modeste, mais qu’il n’avait pas tardé à lancer dans la société des viveurs et des femmes à la mode. Quand il s’était vu dépossédé de son hôtel, de ses voitures, il avait tremblé que Fanny, qui s’était habituée avec une rapidité extrême aux jouissances de la richesse, ne se détachât de lui, comme font d’ordinaire ses pareilles ; et c’était surtout pour conserver à l’ancienne maîtresse de piano son luxe et ses splendeurs féminines qu’il avait imaginé la spéculation coupable pour laquelle il était venu avec elle à Bordeaux depuis quelques mois.

La suite de ce récit fera connaitre tous les détails de cette entreprise, dont le lecteur peut entrevoir déjà la nature. Cransac, d’abord simple débauché, en était arrivé, par une pente insensible, à se mettre en révolte contre la loi ; ne pouvant acquérir par l’intelligence et le travail cette opulence qu’il souhaitait, il essayait de la dérober : incapable de jouer loyalement la partie, il pipait les dés ; c’est, hélas ! la logique des choses. Fanny, cause première de ces manœuvres criminelles, ne les ignorait pas. Quand Hector, pour la décider à quitter Paris, lui avait fait entrevoir le plan qui devait les conduire si promptement à la fortune, elle en avait d’abord paru effrayée. Mais, soit que