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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

— Allons ! monsieur Fleuriot, reprit Fanny, ne vous abandonnez pas à des emportements indignes de vous. Ducoudray sera suffisamment puni quand on lui arrachera sa considération usurpée, quand il sera convaincu publiquement de vol et d’imposture ! Laissez faire le vicomte ; il va se rendre à Paris, et peut-être me déciderai-je à l’accompagner pour stimuler son zèle. Il verra le directeur général des télégraphes, il lui exposera les procédés honteux de votre ancien inspecteur, il plaidera chaleureusement votre cause… Qui sait même si le poste éminent qu’occupe au jourd’hui Ducoudray ne vous sera pas accordé quand vos droits seront reconnus ?

Cette perspective fit briller un éclair de joie dans les yeux de Raymond ; le voyant à demi vaincu, Cransac reprit, avec cette froideur hautaine dont il ne s’était pas départi dans le cours de cet entretien :

— Fanny a raison, monsieur Fleuriot ; tout conflit personnel serait absurde, lorsque vous tenez déjà une vengeance si complète et si sûre. Quant à moi, je n’hésite pas à prendre en main la défense de vos intérêts ; laissez-moi ce livre des signaux, il est indispensable que je le présente au chef de l’administration afin d’établir la réalité de votre découverte. Puis, ayez confiance ; vous n’attendrez pas long temps la réparation qui vous est due.

Et il voulut prendre le manuscrit resté sur la table. Mais Fleuriot, par un de ces mouvements impétueux qui lui étaient naturels, s’en empara et dit d’un ton ferme :

— Excusez-moi, monsieur le vicomte ; ce livre ne doit pas sortir de mes mains. Il y va de mon honneur et d’intérêts bien supérieurs à mes misérables intérêts personnels. Si donc ce livre doit être remis au chef de mon administration, je le lui présenterai moi-même… Jusque-là, il reste en ma garde ; et, moi vivant, je ne m’en dessaisirai pas…