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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

Cransac chercha dans son gilet et allait tirer une pièce d’or ; mais il craignit que l’importance de la somme ne fit penser au jeune paysan qu’on avait un haut intérêt à acheter son silence ; aussi se contenta-t-il de remettre une simple pièce d’argent à Bascoux, qui la reçut avec des transports immodérés de joie.

— Merci, monsieur vicomte, s’écria-t-il ; ah ! vous êtes joliment généreux, vous ! C’est pas comme les gens du pays… Je donnerai ces vingt sous à ma mère avec les dix autres, et elle les mettra dans ma tirelire pour m’acheter des souliers neufs à la prochaine Saint-Martin.

Mais Cransac ne l’écoutait déjà plus. Chaque heure lui révélait un nouveau danger. Il ne doutait pas que le ruban et le billet, dont le pigeon tué la veille était porteur, ne se trouvassent maintenant entre les mains de Morisset ou de Fleuriot, et il tremblait en songeant que la moindre gaucherie de Bascoux pouvait mettre sur la voie des découvertes. Il se confirmait donc de plus en plus dans la détermination d’abandonner une partie si périlleuse, et quandon atteignit les premières maisons du village, il n’avait plus aucune hésitation sur ce point.

Le jeune surnuméraire, enhardi pas le silence même de Cransac, ne paraissait pas disposé à le quitter de sitôt ; mais Hector le congédia, et, après lui avoir recommandé encore une fois la plus absolue discrétion, il s’éloigna brusquement.

Quand il arriva tout soucieux au Château-Neuf, la voiture était rentrée depuis longtemps. En traversant le vestibule, il rencontra une grande fille au nez retroussé, à l’air effronté, que Fanny avait amenée de Bordeaux en qualité de femme de chambre, et il lui demanda distraitement où était la marquise.

— Dans le salon, répliqua la camériste d’un ton maus sade ; elle a de la compagnie.