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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

Colman lui-même a été trompé. Nous nous obstinons à pour suivre une chimère qui, je n’en doute plus, nous conduira tous à un abime… Maudite Fanny ! avide et fantasque créature !

Le vicomte en était là de ses réflexions, quand il se fit un grand bruit dans la baie d’une vigne voisine. Au même instant le feuillage s’écarta, et un jeune paysan, les mains pleines de raisins, sauta lestement sur la route. À la vue du passant, le drôle s’arrêta court, et cachant précipitamment derrière son dos les produits de sa maraude, s’écria avec assurance, en patois du pays :

— Ce n’est pas moi… je n’ai rien touché.

Cependant, à peine eut-il envisagé Cransac qu’il se rassura, et poursuivit en saluant très-respectueusement : Pardon, excuse, monsieur vicomte ; je vous prenais pour le père Bournichon, qui est si ladre à l’égard de sa vigne… Il fait chaud et j’avais grand’soif ; j’ai eu l’idée de cueillir une grappe ou deux… En voulez-vous ?

Et il offrit à Hector des raisins à moitié écrasés, sur les quels ses doigts avaient laissé leur trace.

Hector refusa par un geste dédaigneux ; dans le jeune maraudeur il venait de reconnaître Bascoux, le surnuméraire du télégraphe de la tour Verte.

Jean Bascoux était le fils unique d’une veuve, qui vivait à Puy-Néré du produit d’un petit champ attenant à sa de meure. Un curé du voisinage, ayant pris Jean en affection, lui avait enseigné à lire, à écrire et à compter, si bien que la mère avait ressenti de l’ambition pour son fils. Grâce à la protection de Fleuriot, elle était parvenue à le faire agréer comme surnuméraire au télégraphe, et nous savons qu’il manœuvrait déjà la machine de Chappe avec dextérité ; aussi, quoiqu’il eût un goût un peu trop prononcé pour les fruits de ses voisins, était-il considéré comme un jeune homme de grande espérance dans les pauvres demeures des environs.