Page:Berthet — La tour du télégraphe, 1870.pdf/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
123
LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

faisaient entendre leurs bruissements sous les bruyères roses ; les grenouilles sautaient dans les fossés pleins d’eau quand passait le promeneur. Toute cette nature vivait ; et si triste qu’elle fût d’habitude, elle paraissait en fête sous cette lumière éblouissante.

Cependant il n’y avait rien dans ce tableau qui pût détourņer le vicomte de ses méditations, et il se disait avec découragement :

— Les affaires se gâtent de plus en plus, et si Fanny n’était pas si opiniâtre, nous abandonnerions la partie quand on le peut encore sans danger ; mais elle ne veut rien entendre et ne s’effraye de rien. Véritablement je crois qu’elle a un caprice pour ce langoureux employé… Oh ! si cela était, si j’étais sûr…

Il n’acheva pas sa pensée et décapita d’un coup de badine une magnifique bardane qui se dressait au bord de la route. Mais il se mit à rire aussitôt de ce mouvement de colère.

— Bon, reprit-il, est-ce que réellement je suis jaloux de Fanny ? Il y a longtemps que je ne me soucie plus d’elle… Cependant, lorsque je songe qu’elle déploie son infernale coquetterie avec ce maudit boiteux, ma tête se monte, mon sang bouillonne, et j’éprouve je ne sais quel sot désir de les exterminer l’un et l’autre !

Tout en parlant, il promenait machinalement les yeux autour de lui. Dans le lointain, sur la surface nue de la plaine, brillait comme un miroir poli l’étang où, la veille, il était allé chasser aux tadornes. Cette vue modifia le cours de ses idées.

— Ce Fleuriot ne manque ni de bon sens ni de courage, continua-t-il, et il m’a rendu hier un de ces services que l’on ne peut oublier complétement… D’autre part, je suis presque certain qu’il n’a pas conservé une copie du livre des signaux. Ducoudray, qui paraît un habile homme, n’eût pas négligé de s’assurer de l’existence de cette copie, et