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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

sa longue échine semblait avoir une propension naturelle à se courber devant la moindre supériorité. Son costume consistait en un chapeau à larges bords, une blouse bleue et un pantalon de droguet qui disparaissait en partie dans de vieilles guêtres de cuir. Quoiqu’il n’eût pas de fusil, il portait un carnier de chasseur, et on jugeait qu’il était revenu de la chasse depuis peu.

Cet homme ôta son chapeau avec une humilité gauche ; puis il dit d’un ton à la fois chantant et trainant, qui est l’accent du pays :

— Bien le bonsoir, monsieur Fleuriot et la compagnie… Ah ! monsieur notre inspecteur, je suis content de vous voir tout de même, puisque vous n’êtes pas parti… sauf votre respect.

Fleuriot s’était levé pour donner une poignée de main à son collègue.

— Asseyez-vous, Morisset, et soyez le bienvenu, lui dit il avec cordialité ; vous paraissez fatigué et vous boirez bien un verre de vin ?

— Ça ne se refuse pas, répliqua modestement l’employé en s’asseyant sur le bord de sa chaise.

Lucile s’empressa d’apporter un verre.

— Je gagerais, dit Vincent d’un ton railleur, que vous revenez encore de la chasse… Ah çà ! vous êtes donc un braconnier fini ?

— Eh ! mais, monsieur l’inspecteur, répliqua Morisset avec un sourire oblique et en désignant par un mouvement d’épaules l’équipement caractéristique de son chef, nous ne nous devons rien, ce me semble ! Les braconniers ne manquent pas dans l’administration des télégraphes ; il n’y a entre eux que la différence du grand au petit.

— C’est juste, répliqua Vincent en riant aux éclats, et Morisset m’a donné mon compte ; je ne peux m’en plaindre, car je l’ai mérité.

Le paysan était trop fin pour triompher longuement de