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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

aussi, ma petite Lucile. Tout à l’heure je me suis emporté comme un enfant ; c’est peut-être l’effet de ce gentil vin de Périgord que nous avons bu à table, ajouta-t-il en s’efforçant de sourire ; je ne sais vraiment où j’avais l’esprit. Avant de prendre une résolution, je veux être fixé sur un point fort important et fort délicat : alors seulement je pourrai agir. Si j’ai commis une erreur, je le reconnaîtrai franchement ; si au contraire j’ai été victime d’une abominable trahison… ma vengeance n’en sera pas moins sûre pour être différée.

Sa mère lui serra la main et Lucile l’embrassa. Vincent, dont la curiosité était fort éveillée, reprit avec sa gaieté ordinaire :

— Ah çà ! mon cher Fleuriot, n’aurez-vous pas pitié de moi et ne me donnerez-vous pas la clef de ces énigmes ? Songez que je peux vous être utile à Paris… et d’ailleurs un bon conseil n’est pas à dédaigner.

— Merci, mon cher monsieur Georges, répliqua Fleuriot d’un ton amical mais ferme ; c’est justement parce que vous êtes mon supérieur administratif que je ne dois pas vous donner connaissance de cette affaire. Je ne manque pas de confiance en vous, mais je serais désolé si vous partagiez en quoi que ce soit la responsabilité de ce que j’ai fait ou de ce que je pourrai faire plus tard.

Georges allait insister peut-être pour apprendre ce qu’on tenait tant à lui cacher, quand quelqu’un frappa doucement à la porte de la salle.

— Entrez ! cria Fleuriot enchanté d’un incident qui ve nait couper court à la discussion.

La porte s’ouvrit et Morisset entra.

Morisset, le compagnon de l’ancien sous-officier pour le service du télégraphe de la tour Verte, était une espèce de paysan, à tournure de sacristain, sur la figure duquel on eût pourtant remarqué l’expression fûtée particulière aux campagnards. Il était grand et robuste, quoique maigre, et