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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

certains supérieurs se croient souvent permis avec leurs subordonnés, bien que je ne m’explique pas quel a été son but… Je ne vois pas là de quoi se monter à ce point… Ce qu’un inspecteur a fait, un autre peut le défaire, et je vous promets d’obtenir réparation de l’injustice, puisque injustice il y a.

— Oui, oui, mon cher Raymond, reprit madame Fleuriot toute tremblante en prenant une main de son fils tandis que Lucile s’emparait de l’autre, sois raisonnable ; écoute notre ami M. Vincent.

Mon frère bien-aimé, reviens à toi, ajouta Lucile de son ton le plus caressant ; toi si sage et si bon, je ne te reconnais plus !

Raymond, absorbé par une pensée unique, n’avait pas l’air d’entendre ces plaintes et ces prières.

— Vincent, dit-il à l’inspecteur avec une exaltation croissante, vous ne pouvez comprendre combien ma colère est légitime. Vous ne savez pas encore… je vous dirai peut-être un jour… Mais il faut que je parte pour Paris, que je me trouve face à face avec cet odieux Ducoudray, que je lui reproche son crime, que je l’écrase, que je le tue… Oui, je veux le tuer !… Et pourquoi, ajouta-t-il d’un ton farouche, attendrais-je jusqu’à demain pour aller réclamer la justice qui m’est due ? Je vais partir sur-le-champ, dussé-je voyager à pied !… Vincent, je vous demande congé pour huit jours ; Morisset et le petit Bascoux se chargeront du service en mon absence… Ne me refusez pas ou je donne à l’instant ma démission !… Sur cette somme que j’offrais tout à l’heure à Lucile, je prendrai deux cents francs pour les frais de mon voyage ; cela me suffira, car ma tâche devra s’accomplir rapidement… Mais il faut que je parte, je veux partir.

Le visagé rouge, les yeux hors de la tête, Raymond se promenait dans la salle d’un pas saccadé. Georges Vincent ne trouvait plus rien à dire et demeurait tout stupéfait.