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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

dans un poste isolé au milieu de la campagne, trouver plus d’économie que dans l’intérieur d’une ville, et on insistait pour que cette faveur vous fût accordée sur-le-champ.

Raymond Fleuriot demeurait pétrifié.

— Je m’y perds, reprit-il d’une voix sourde ; et si tout autre que vous, Vincent, m’affirmait pareille chose… Mais alors qui est l’auteur de ce rapport où l’on m’a prêté des intentions si contraires à mes désirs ?

— Eh ! qui serait-ce sinon l’inspecteur de la ligne à cette époque, M. Ducoudray, aujourd’hui un des fonctionnaires les plus éminents de notre administration ?

— Ducoudray ! mais il me disait au contraire… Et, s’il m’a trompé sur un point, pourquoi ne m’aurait-il pas trompé sur l’autre ? J’entrevois une infamie !

Raymond resta un moment rêveur ; tout à coup il frappa du pied avec violence.

— Je le tuerai ! s’écria-t-il, il faut que je le tue, cet abo minable menteur, ce voleur, ce lâche !… Oui, oui, il m’a dérobé mon secret, j’en suis sûr maintenant ; il a profité de mon travail pour arriver aux honneurs, à la fortune, tandis qu’il m’envoyait dans cet obscur village d’où ma voix ne pouvait être entendue… Il l’entendra pourtant ! Je veux partir, lui reprocher publiquement son infamie, le souffleter, lui cracher au visage, le fouler aux pieds… Je le veux, je le veux !

Rien ne saurait rendre la fureur dont Raymond Fleuriot était saisi en ce moment. Cet homme, habituellement si doux, si réservé, si taciturne, trépignait, frappait du poing sur la table. Sa voix était tonnante. Son mâle visage avait pris une expression terrible. Georges Vincent le regardait d’un air intimidé, tandis que les deux femmes frémissaient d’épouvante.

— Voyons, Fleuriot, calmez-vous, reprit l’inspecteur ; se mettre dans un pareil état pour une bagatelle ! Ducoudray vous a joué un de ces tours de perfidie administrative que