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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

Le vicomte repoussa la main qu’il tenait et se leva brus quement.

— À merveille, ma chère, reprit-il ; je ne saurais couper les ailes à votre brillante imagination, mais je dois me tenir dans les bornes modestes de la réalité.

Fanny parut comprendre qu’elle était allée trop loin.

— Tenez, Hector, pardonnez-moi ; je vous ai dit que je m’ennuyais, et l’ennui, voyez-vous, est mauvais conseiller… Voilà l’effet de cette énervante vie de province ! Je la sens qui me gagne, qui m’engourdit, qui me glace, et je me débats… Au lieu de me froisser, vous devriez me plaindre. Je suis dans cette situation d’esprit où l’on aimerait mieux faire du mal que de ne rien faire !… L’inaction m’hébête et me tue.

— Allons ! Fanny, un peu de patience ! vous savez bien que nous ne resterons pas toujours ici… Dès que j’aurai rétabli ma fortune, nous retournerons à ce Paris que vous aimez tant et qui est aussi le but de mes désirs. Prenez patience, vous dis-je ; mon associé et moi, nous avons déjà réalisé des gains considérables…

— Il me semble, Cransac, que vous êtes encore loin du compte, et que le banquier Colman vous fait une part assez mince dans les bénéfices de l’entreprise commune. Vous avez pourtant la plus rude tâche, car vous passez vos journées à épier ces vilaines machines du télégraphe ou à courir à la Bourse… Si encore il se trouvait une occupation pour moi dans tout ceci ? Mais vous me laissez livrée à cette oisiveté qui m’irrite et me rend folle.

Comme elle ne recevait pas de réponse, elle tourna la tête. Hector ne l’écoutait plus ; il était revenu à la fenêtre, et, armé de sa lunette, il examinait le télégraphe, qui s’était mis de nouveau en mouvement. Fanny fit un geste de colère, et, couvrant son visage de ses mains crispées, elle parut s’absorber dans son dépit.