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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

— Notre mère choisira, répliqua Raymond avec son accent mélancolique ; mais elle considérera aussi que je resterais seul, sans affection, sans consolations, et que mon existence serait insupportable. Lucile du moins aura son mari, et sans doute bientôt une famille pour l’aimer ; mais moi, qui me soutiendra dans mon abandon si je n’ai plus la tendresse de ma bonne et sainte mère ?

— Toi, Raymond, tu es un homme plein de force et d’énergie…

— J’avais de la force et de l’énergie parce que vous étiez toutes les deux auprès de moi ; c’était vous qui me donniez le courage de supporter les dégoûts de ma vie présente ; mais, si vous me manquez l’une et l’autre, où trouverai-je le moyen de résister aux sombres idées qui m’obsèdent souvent ?

— Mère, réfléchissez, je vous prie…

— Assez, mes enfants, dit madame Fleuriot, tout en larmes ; j’ai pour vous une tendresse égale, mon cœur se brisé à la pensée de quitter l’un de vous… Mais nous verrons, nous aviserons… N’affligeons pas M. Georges en ce moment… Néanmoins, mes enfants, je vous remercie, et laissez-moi vous dire que je suis une heureuse mère… Il est des familles où l’on ne se disputerait pas ainsi une pauvre vieille femme inutile, qui a seulement de l’affection à donner !

Tout le monde était profondément ému. Georges, dont la figure joviale ne semblait pas habituée à refléter la tristesse, reprit bientôt en poussant un « hem ! » sonore afin de s’éclaircir la voix :

— Voyons, voyons, nous nous attendrissons là, sans être bien certains d’en avoir motif… Et s’il se trouyait une combinaison pour nous réunir tous dans la même résidence ? Personne n’a-t-il songé à cela ?

— Ah ! c’est impossible ! dit Fleuriot en soupirant.