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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

lièrement que par le passé ; et il finit par me demander de l’argent afin de compenser les risques considérables auxquels il s’expose. Je vais lui envoyer l’argent ; mais l’interruption de ses communications sur la hausse et la baisse de la bourse, sur les numéros sortants de la loterie, causera le plus grand tort à notre association financière de Bordeaux.

— C’est grave, en effet, car Brandin est la cheville ouvrière de l’entreprise. S’il vient à manquer, tout se brise à la fois… Eh bien ! et le bonhomme Colman, que dit-il ?

— Le « bonhomme, » comme vous l’appelez, n’est pas plus rassurant. Avec sa défiance ordinaire, il m’écrit une lettre qui ressemble fort à un logogriphe, et tout autre que moi ne saurait y trouver un sens raisonnable ; encore cette lettre n’est-elle ni signée, ni écrite de sa main. Heureusement j’ai la clef de cet amphigouri, et je le comprends à peu près. Colman m’annonce donc qu’il est lui-même l’objet d’une suspicion générale à Bordeaux ; que ses gains constants, à la bourse comme à la loterie, ont excité la défiance, malgré les précautions dont il s’entoure. Enfin les pigeons que je lui expédie d’ici chaque jour s’amusent parfois en chemin, si bien qu’ils arrivent en retard, quand la bourse est finie et quand les opérations sont impossibles. De tout cela le banquier conclut que je dois m’empresser de terminer l’affaire du livre des signaux, car elle pourra, dans un avenir prochain, devenir notre unique ressource.

— Cette conclusion est assez raisonnable, dit Fanny, et vous ferez bien de la méditer.

Le vicomte s’était arrêté en face d’elle et la regardait sans colère.

— Savez-vous, Fanny, reprit-il avec un accent mélancolique, pourquoi nous nous aigrissons ainsi l’un contre l’autre ? C’est que nous nous aimons encore, à notre insu peut-être, c’est que nous ressentons sans nous en rendre compte