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les vierges de syracuse

à la fois voluptueux et ferme de leur bouche, dans l’ovale lisse de leur visage, marquait l’âpre désir de la vie et l’ivresse aussi de la mort.

Car c’était cette ivresse secrète de la mort, enseignée par les philosophes, qui planait au-dessus des lamentations de la foule, comme un oiseau aux ailes ouvertes plane au-dessus de la plainte ignorante des flots. Tout à l’heure, quand la dépouille inanimée de Gélon descendrait aux profondeurs froides du tombeau, on verrait apparaître les symboles de cette foi irréductible dans l’infini. La coupe orgiaque de Bacchus, ciselée en relief sur la paroi médiale du sarcophage, ne signifierait plus la plénitude des joies terrestres, mais cette ivresse de l’âme affranchie du corps, qui goûte enfin le vin de la sagesse et qui s’y abreuve à longs traits. Bacchus, dieu de la vie, se transformerait en dieu de la félicité éternelle. On le verrait, donnant la main à la vierge Perséphone pour la célébration d’un mystique hymen ; tous deux ressuscitant aux clartés célestes, comme le grain de blé et le cep de vigne ressuscitent au soleil après avoir pourri dans la terre. Oui, c’était une grande ivresse qu’avait dû goûter l’âme de Gélon en abordant aux plaines de la mort ; et sur le lit funèbre son visage découvert gardait l’empreinte de cette suprême volupté, de même que la vague, en quittant le rivage, y laisse la trace de ses derniers tressaillements.