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les vierges de syracuse

familières au génie du peuple, décoraient l’autel. Un sculpteur y avait évoqué les têtes gigantesques des trois Gorgognes, Sthéno, Euryale et Méduse, écumantes et telles que les avait rejetées sur la côte l’antre de Charybde ; et celles des deux Græés, Péphrédo et Enyo, portant sur leur visage autant de plis que l’Eurus en fait naître à la surface des eaux. Ces cinq figures de femmes d’expression diverse, mais toutes énormes et grimaçantes, semblaient savourer à l’avance la joie de sentir couler sur leur front le sang chaud des victimes.

Déjà elles se trouvaient là, ces victimes, les cent cinquante jeunes taureaux qui allaient être sacrifiés dans un instant. Leur masse, derrière l’autel, formait comme un groupe taillé dans un bloc de Ténare et que Myron d’Éleuthères eût sculpté. Ils étaient tous d’un noir opaque et leurs cornes même étaient noires, et leurs naseaux étaient tournés du côté du Mont Thymbris, d’où ils étaient descendus. Trois hommes suffisaient à les garder, bien qu’ils fussent impétueux et ardents ; mais avant de les amener on avait eu soin de les réunir aux génisses et maintenant, rêvant encore de cette félicité, ils se tenaient immobiles, sans autre tressaillement que celui de leur souffle dans leurs flancs profonds. Autour d’eux la foule commençait à s’épaissir. On venait de partout, des Épipoles et de Tyché, de toutes les rues tortueuses et enche-