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vez menée dans l’Île Ste-Hélène, au Rond St-Jean-Baptiste, vous m’avez donné une paire de bottines de prunelle et un tas d’autres petits présents. J’ai pour vous beaucoup d’amitié, mais pour de l’amour, dévire.

Cléophas reprit :

— Mademoiselle Ursule, je sais que votre cœur appartient au jeune cordonnier de chez Boivin, mais il n’a pas le moyen de vous mettre en ménage. J’ai quelque chose devant moi. Il y a longtemps que je suis sur les petits chars. J’ai fait mes orges dans le temps où on n’avait pas de théquière en cuivre pour recevoir les « fares ». Hier, j’ai reçu une lettre d’un notaire de Québec qui m’annonce la mort d’une de mes tantes à Ste-Anne l’Apothicaire, en bas de Québec. Tenez, lisez plutôt.

Cléophas sortit de sa poche une lettre qu’il passa à Ursule.


« Cher monsieur,

« J’ai la douleur de vous annoncer un accident par lequel votre vénérable tante Mademoiselle Tharsile Descopeau a perdu la vie. Elle traversait le fleuve en chaloupe près de l’Île aux Coudres lorsque tout à coup il s’éleva une violente tempête. L’embarcation chavira, votre tante périt dans les flots. Le lendemain matin des pêcheurs l’ont trouvée sur la grève, sans dessus dessous, la quille en l’air.

— Pauvre femme ! interrompit Ursule.

— Ce n’était pas la femme, dit Cléophas, c’était la chaloupe.

La jeune fille continua la lecture de la lettre.

« Le cadavre de votre tante n’a pas encore été retrouvé. J’ai ouvert le testament dont la minute est dans mon étude et j’ai le plaisir de vous apprendre que vous êtes son légataire universel. Mlle  Descopeau vous laisse un héritage d’environ $2,000. Vous êtes prié de venir à Québec recueillir la succession de la défunte.

« Je suis, etc., etc.,
« J.-B. GRIFFON, N. P. »


Cléophas se rengorgea et dit à Ursule :

— Comme vous voyez, mademoiselle, je ne suis pas à pied. Avec $2,000 on ne se mouche pas avec des quartiers de terrine. Si vous ne m’aimez pas encore, ça viendra avec le temps.

Ursule baissa la tête et parut plongée dans un abîme de réflexions.

Cléophas n’était pas un parti à dédaigner.

C’était un homme de quarante-cinq ans, à la figure spirituelle et riante, à la joue bronzée, qu’entourait comme un cadre, la riche abondance d’une chevelure rendue luisante par l’huile de rose dont elle était imprégnée.