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Tu sais comme c’est dur de travailler dans la cordonnerie. Avec la protection on gagne pas de « grosses » gages.

On m’a dit que tu recevais chez vous un conducteur de petits chars. Dimanche dernier il était « flush », et il t’a conduit au rond du Village St-Jean-Baptiste. Mes amis m’ont dit que vous étiez gros manche tous les deux et que tu me faisais manger de l’avoine au minotte.

Ursule pâlit. Elle lança sur son ami un regard chargé de fluide magnétique.

— Bénoni ! dit-elle, d’une voix devenue tremblante par l’émotion, Bénoni, comment peux-tu supposer un seul instant que je pourrais trahir mes serments ? Le serpent de la jalousie est entré dans ton cœur et y distille le plus noir des poisons. Bénoni, je t’aurais jamais cru de même ma foi dieu.

Bénoni reprit :

— Ursule, ce conducteur m’achale. Si tu ne lui donnes pas la pelle, je te promets un chien de ma chienne d’un beau frisé.

Ursule laissa tomber sur son amant un regard d’azur, prit la main calleuse de l’ouvrier et dit :

— À qui cette belle gueule-là ?

— À poué, chère !

Bénoni était vaincu.

Pendant cette conversation, un personnage mystérieux était venu s’asseoir sur le banc des amoureux.

Il avait rabattu sur ses yeux les bords de son feutre et paraissait donner une attention suivie à la conversation d’Ursule et de Bénoni.

Qui était-il ?


II

LE RIVAL.


Le personnage mystérieux assis près des amoureux dans le Jardin Viger avait la tête baissée et dérobait ses traits à la curiosité de ses voisins.

Pendant la conversation, d’Ursule et de Bénoni, il fit semblant d’être accablé par le sommeil et de cogner des clous.

À une heure, les sifflets à vapeur retentirent de nouveau.

Bénoni se leva, pressa la main d’Ursule et se dirigea vers la rue St-Denis.

L’inconnu releva la tête et se tourna du côté de la jeune fille.

Celle-ci, après avoir vu disparaître son amant, se tourna du côté du personnage mystérieux.