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Cléophas était méconnaissable dans le nouvel habillement que lui avait payé Bouctouche.

Il menait la vie à grandes guides. Il ne manquait jamais une course au Parc Lépine où il était un des plus forts piliers de la roue de fortune de Baptiste. Ses palettes étaient toujours chanceuses et il réalisait dans sa journée des sommes assez rondes.

Il avait souvent occasion de rencontrer le père Sansfaçon dont la stand n’était pas loin de l’Hôtel Rosco. Cinq ou six fois par jour il invitait le bonhomme à faire un coup de dé pour la traite dans les auberges en face du Marché Bonsecours.

Un jour Cléophas reçut une dépêche du comte de Bouctouche lui disant de partir le soir même pour Ste-Thérèse avec le petit Pite et ses malles, car ils devaient être absents de là pendant environ un mois.

Cléophas obéit à ses instructions et le soir il arrivait à Ste-Thérèse en compagnie du gamin.

Le comte les attendait avec une voiture et les conduisit à un hôtel.

Le petit Pite eut la permission d’aller visiter le village et le comte et Cléophas restèrent ensemble dans un salon privé de l’auberge.

Bouctouche entama la conversation le premier.

— Eh bien, Cléophas, le gamin est-il résigné à son sort ?

— Le petit Pite est traité comme un coq batailleur. Depuis qu’il a étrenné son nouveau suit, il bomme toute la journée et ne songe plus à retrouver ses parents.

— Bien. Maintenant je vais vous expliquer mon plan. Vous vous rappelez que lorsque je vous vis pour la première fois, sur le quai à Montréal, je vous demandais si vous étiez capable de tatouer une image sur le corps d’un individu. Vous m’avez répondu que oui. Eh bien, ce soir, avec une drogue que j’ai sur moi, nous allons endormir profondément le gamin que j’ai adopté. Pendant son sommeil, vous graverez sur sa peau le dessin que voici.

Le comte tira de sa poche un portefeuille en maroquin et en sortit le morceau de peau tatoué qu’il avait enlevé du cadavre de son fils.

— Vous m’avez compris, vous savez ce que vous avez à faire pour l’argent que je vous ai promis.

— C’est parfait, monsieur. Je suis à vos ordres.

— En ce cas, ce soir après le souper, nous préparerons la drogue qui devra endormir le gamin. Remarquez bien, Cléophas, que si vous m’êtes fidèle, je vous récompenserai en gentilhomme. J’aurai besoin de vous plus tard. Vous allez agir comme mon homme d’affaire dans cette partie du pays.