Il remonta dans sa voiture et se rendit à la gare du chemin de fer du Nord.
Il était arrivé juste à temps pour prendre le train de St-Jérôme.
Il baissa ensuite la tête et sembla plongé dans d’amères réflexions.
Tout à coup il se redressa et, se croisant les bras, il commença le monologue suivant :
« Comte de Bouctouche, ce cadavre n’est-il pas le dernier lien qui s’attache aux millions de St-Simon ? M’avouerai-je vaincu aujourd’hui ? Caraquette, viendras-tu demain m’arracher à mon opulence ? Oh ! non. Non, jamais ! Le comte de Bouctouche est encore vivant. Il vivra pour me donner les moyens d’écraser l’infâme Caraquette. J’irai devant les tribunaux où l’on m’accusera d’avoir substitué un enfant étranger à l’héritier défunt des St-Simon. Caraquette sera confondu, car le nouveau vicomte portera toujours à la même place le signe au moyen duquel on pourra le reconnaître. La comtesse pourrait se réveiller, hâtons-nous de donner à l’artiste chargé de tatouer mon nouvel enfant le modèle de son travail. »
Le comte ferma à double tour la porte du salon et tira les rideaux de manière à se dérober aux regards d’un espion, si par hasard il y en avait eu au dehors.
Il sortit de sa poche un couteau à la lame très aiguisée.
Il s’approcha du lit mortuaire, enleva le linceul, et retourna le cadavre sur le ventre.
Il enleva délicatement du corps inanimé de son fils, avec l’aide du couteau, un grand lambeau de chair.
Sur ce lambeau était l’empreinte du castor avec les mots : Travaille et Concorde.
À minuit, le comte de Bouctouche s’assura que la comtesse et Ursule dormaient profondément ; aucun regard ne l’épiait.
Il rentra dans la salle funèbre, enveloppa le cadavre dans une vieille draperie, et, le mettant sous son bras, il sortit de la maison.
La lune dont la lumière était voilée par un nuage, ne paraissait pas.
L’heure était propice pour l’accomplissement du crime.
Le comte remonta à pied la route qui suit la rivière du Nord dans les pittoresques méandres qu’elle décrit au pied des Laurentides.
Il marcha environ deux milles portant toujours dans ses bras son funèbre fardeau.
Tout à coup un murmure lointain sembla rompre le silence de la nuit.
C’était la chute Sanderson qui faisait entendre ses sinistres grondements.