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Son cerveau fut envahi par les fumées de l’ivresse, il roula sur le quai et s’endormit à l’ombre au pied du mur de revêtement. Il dormit une couple d’heures. Il avait ses manches de chemise relevées jusqu’au-dessus du coude. Sur son bras gauche il exhibait un tatouage des mieux réussis, représentant deux cœurs unis, avec la date de son mariage avec Scholastique.

En ouvrant les yeux il vit près de lui un individu mis avec une certaine recherche et fumant un cigare à l’arôme des plus délicats.

Le monsieur paraissait l’examiner avec une certaine curiosité.

L’étranger lui dit :

— Écoutez, l’ami, savez-vous que vous avez là un tatouage magnifique ?

Est-ce vous qui avez dessiné ces deux cœurs ?

— Je penserais, répondit Cléophas en se levant et en poussant un gros hoquet chargé d’effluves alcooliques. Ça me prend, moi, pour tatouer un homme.

— Vous ne me paraissez pas riche, l’ami. Aimeriez-vous à gagner cent piastres en or en trois jours ?

— Cent piastres en or ! Me prenez-vous pour une tête sèche ? Venez donc pas m’achaler avec votre argent !

— Écoutez, l’ami. Je suis sérieux. Si vous vous engagez à faire sur un jeune homme un tatouage aussi bien réussi que le vôtre, je vous donne cent louis, parole de gentilhomme. Vous ne paraissez pas me croire. Tenez, voici un acompte.

En même temps l’inconnu sortit de sa poche un billet de dix dollars et le donna à Cléophas :

— Maintenant, suivez-moi à une dizaine de pas et vous entrerez dans une auberge que je vous indiquerai.

Cléophas se dépêcha de mettre sa bougrine et suivit l’étranger qui se dirigea vers le marché Bonsecours.

L’individu qui venait de donner les $10 à Cléophas n’était autre que le comte de Bouctouche.

Le comte et Cléophas suivirent la ligne des quais jusqu’au débarcadère des vapeurs de Québec. Ils passèrent sur le Carré Jacques-Cartier, enfilèrent la rue St-Amable et prirent la rue St-Vincent.

Le comte entra dans le restaurant de la mère Gigogne et demanda un salon privé.

Quelques minutes après il fut rejoint par Cléophas.

Le comte commanda une consommation.

Cléophas demanda du whisky et avala une gobe d’imprimeur. Le comte après avoir lampé son chauffeur se redressa et se rejeta en ar-