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Les deux prisonniers se levèrent et furent conduits devant la Cour.

Les accusés s’arrêtèrent devant une portière haute de quatre pieds et fermée à clé. C’était là où ils devaient se tenir pendant le procès. Un policeman était placé à côté d’eux pour les empêcher de commettre des inconvenances devant le tribunal.

Le recorder prit la parole :

Vous êtes accusés tous deux de vous être battus. Que plaidez-vous à cela ? Coupable ou non coupable ?

Bénoni — Vous dites que j’étais saoûl ! C’est pas le cas !

Cléophas — Moi, saoûl, pas la torrieuse de miette !

Le Recorder — Êtes-vous coupables ou non coupables ?

Cléophas — Pas coupable comme de juste.

Bénoni — Pas coupable itou.

Le Greffier — Constables parlant le français, approchez pour vous faire assermenter.

Une dizaine de policemen se levèrent et s’approchèrent de la boîte aux témoins. Le sergent St-Pierre leur tendit la bible. Chacun mit la main droite dessus. Le groupe ressemblait alors à une roue dont le livre noir semblait être le moyeu. L’assermentation des constables se fait en gros. La formule du serment est récitée une fois par le greffier et chacun baise la bible à tour de rôle.

Le greffier appela le premier témoin le constable Bellebôbine.

Les yeux de Cléophas étaient fixés sur les malcommodes qui prêtaient serments lorsqu’il lui monta au nez une forte odeur de vieille tonne. C’était l’avocat Jules Piton qui venait lui dire quelques mots :

— Soyez sans crainte. Votre femme, Monsieur Sansfaçon, Madame Sansfaçon et sa fille. Avez-vous d’autre chose à me communiquer avant que le procès aille plus loin ?

— Non.

L’avocat alla reprendre son siège et se mit à crayonner quelques notes sur un carnet gras qu’il venait de tirer de sa poche.

Cléophas se tourna du côté des spectateurs et se mordit la lèvre en songeant à la piteuse mine qu’il devait avoir devant sa bien-aimée.

Le constable Bellebôbine commença sa déposition :

Votre Honneur, vers quatre heures ce matin, j’étais sur mon quart, dans la rue Visitation, près de la rue Sherbrooke. J’entendis du train dans une ruelle. J’arrivai et je vis les deux prisonniers qui se battaient. J’ai réussi à poigner Cléophas Plouf, mais l’autre m’échappa. Comme je le connaissais bien, j’ai pris un warrant ce matin et j’ai été l’arrêter chez lui. Cléophas a résisté tant qu’il a pu et j’ai eu mille misères à le conduire à la station. Les prisonniers étaient tous deux ivres.