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Bénoni riposta par une gnole qui fendit l’arcade sourcilière de son antagoniste. Son œil gauche était bouché.

La figure de Bénoni éclatait d’une joie amère.

Ses narines se dilataient, le pli de ses lèvres, qui lui servait de sourire, était plus froidement insolent que jamais, ses prunelles fausses et changeantes resplendissait comme celle d’un chat sauvage.

Une intraduisible expression d’orgueil féroce, répandue dans son être, faisait hésiter les témoins entre l’horreur et l’admiration.

Cléophas qui commençait à se sentir mal à l’aise sous la pression de cette raillerie glaciale voulut en finir et se décida à laisser de côté les règles du fair play.

D’un bond formidable, il tomba sur son adversaire et le fit ployer. Bénoni trébucha et tomba lourdement sur le sol.

Il lui saisit le gargoton de la main gauche.

Bénoni, qui n’avait plus de force musculaire dans son poignet, réussit à se débarrasser de l’étreinte meurtrière de Cléophas, mais il ne put se relever sous le poids de son ennemi.

Celui-ci lui rabattit la tête sur la terre et avec le pouce de la main droite il exerça une pression violente sous le globe d’un des yeux de Bénoni.

Bénoni s’écria :

— Arrêtez-le, arrêtez-le, il me godge ! il me godge !

En effet, Cléophas venait de recourir à un des moyens les plus barbares pour subjuguer son adversaire.

Il essayait de lui faire sortir l’œil de son orbite.

Les témoins intervinrent et arrachèrent Bénoni de sa position périlleuse.

Ce dernier en un clin d’œil se retrouva debout et commença à bûcher sur Cléophas.

Chaque coup portait aplomb. En cinq ou six secondes la figure de Cléophas fut mise en compote.

Bénoni était victorieux et son adversaire lui demandait grâce, lorsque tout à coup une vieille femme éveillée par les vociférations des combattants sortit de chez elle et se mit à appeler la police.

Le combat avait duré une vingtaine de minutes.

Le soleil se levait radieux à l’horizon.

Un homme de police fit son apparition dans la ruelle.

Bénoni et les témoins réussirent à s’échapper, après avoir donné quelques taloches à l’agent de l’autorité.