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VI

INCENDIE ET DUEL.


Il releva la tête et avec un aplomb imperturbable, il dit à sa femme :

— Depuis que ma destinée a été enchaînée à la tienne, mon existence est devenue une torture de tous les jours.

J’avais cru avant de t’épouser que tu étais l’ange que le ciel avait envoyé vers moi pour être le rayonnement le plus pur de mon foyer. J’avais espéré que ton amour, ta candeur et tes charmes embelliraient mes jours. Lorsque nos nœuds ont été bénis, j’ai réalisé tout ce qu’il y avait d’horrible dans ma situation. Tu as introduit sous mon toit un monstre plus dangereux qu’un chacal, un tigre, une panthère, un serpent, le plus terrible des monstres glapissants, hurlants, grognants et rampants. Je veux dire une belle-mère. Oui, ta mère a abreuvé mes jours d’amertume, elle a fait crouler toutes mes illusions, elle a détruit mon bonheur, elle a arraché une à une toutes les fibres de mon cœur.

Scholastique, je te le répète, nous devons vivre à jamais séparés.

— Cléophas ! puisque tu reste sourd à l’appel de la charité, puisque tu n’as plus pitié de ma misère, j’ai résolu de consulter mon avocat. Je te poursuivrai devant le recorder, et devant le magistrat de police afin de te forcer à payer mon entretien. Je pars, adieu.

L’épouse de Cléophas rebaissa son voile et sortit de la maison de Madame Beauchiard en pleurant.

Lorsque le roulement de la voiture s’éteignit dans le lointain, Cléophas prit sa canne et son chapeau et fit une longue promenade sur les rues afin de trouver de l’emploi.

Pendant une dizaine de jours, Cléophas s’esquinta à arpenter les rues commerciales afin d’entrer comme commis ou du moins comme porte-paquet dans quelques magasins de marchandises sèches ou dans une grocerie.

Toutes ses marches, démarches et contremarches furent infructueuses, Cléophas fut réduit à devenir un « lôfeur » dans toute l’acception du mot. Il avait déjà deux mois de pension en souffrance. Pour gagner du temps, il avait fait croire à Madame Beauchiard qu’il allait bientôt réaliser des bénéfices considérables par la vente d’une consignation de cuillères-à-pots, vulgairement connues sous le nom de « brahoules ».