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picossements dans le rintier. Elle a des points de côté dans l’estomac et se sent le cœur comme s’il nageait dans l’huile.

— Vous l’avez fait vacciner sans doute ?

— Oui, docteur, c’est le docteur Larocque qui l’a vaccinée avec la gale de la génisse de la Corporation.

— Hum, hum, dit le docteur, le cas est grave. Je vois tous les symptômes de la picotte confluente. Il lui faudra bien des soins. Vous devrez mettre de la chlorure de chaux dans tous vos appartements. Vous mettrez une once d’acide carbolique dans une assiette creuse que vous placerez dans la chambre de la malade. Je lui donnerai une petite poudre pour calmer sa fièvre.

La mère Sansfaçon avait été atterrée par la déclaration du médecin.

L’horrible maladie qui ravageait le faubourg Québec allait enlever Ursule à l’amour de ses parents dont elle était l’idole.

Madame Sansfaçon resta comme foudroyée. Son sang se glaça dans ses veines et son cœur de mère battait avec tant de violence que les gros artères faillirent s’en détacher.

Lorsque Ursule se réveilla vers cinq heures du soir, elle eut des vomissements bilieux. Ses yeux, devenus vitreux et injectés de sang, étaient presque sortis de leurs orbites. Sa figure avait été envahie par la rougeur caractéristique de l’infâme contagion. Sa peau se boursouffla. Des milliers d’éruptions se déclarèrent sur tout son corps. De petites vésicules, qui venaient de pointiller, étaient rudes au toucher comme autant de grains de sable.

Quelques jours plus tard les vésicules crevèrent et laissèrent sortir un pus abondant et infect. Ce pus en coulant de chaque vésicule, comme du cratère d’un petit volcan, se séchait et formait une gale hideuse. Les gales couvraient comme une lèpre le beau corps d’Ursule. Son nez, sa gorge et ses yeux étaient bouchés par le développement des pustules.

Ursule était brûlée par une fièvre des plus dévorantes. Elle avait vingt fois par jour des accès de délire pendant lesquels elle appelait Bénoni à grands cris.

Bénoni passait les nuits au chevet de son idole.

Il suivait scrupuleusement les ordonnances du docteur Bibaud. Toutes les demi-heures il appelait des lèvres gercées de son amante un verre rempli d’une limonade rafraîchissante et une cuillerée à soupe de chlorate de potasse.

Pour rester auprès de sa chère malade, Bénoni avait abandonné une magnifique position chez Boivin, où il gagnait sept chelins et demi par semaine en « punchant » des renforts de « brogans ».