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— Mais, mon cher monsieur, vous n’ignorez pas que l’enfant s’est enfui du collège Ste-Thérèse et qu’il mène une vie de vagabondage. Vous allez vous intéresser pour lui, monsieur Caraquette. Vous concevez qu’une mère ne peut vivre longtemps privé des caresses de son enfant. Mettez tous les limiers de la police à sa recherche, donnez-leur l’argent qu’il leur faudra pour les récompenser, je veux revoir mon fils au plus tôt.

Caraquette baissa la tête et réfléchit quelques minutes.

En conversant avec la comtesse, Caraquette avait ramassé un pli de papier près de l’endroit où l’amoureux était assis.

Pendant que Madame de Bouctouche essayait de lui prouver que son fils n’était pas mort et qu’il pouvait être identifié par les marques indélébiles gravées sur son épiderme, Caraquette avait lu les lignes tracées sur le papier qu’il avait ramassé.

C’était le fragment d’une lettre dont la date et la signature avaient disparu.

Caraquette, tout en faisant semblant d’écouter les explications de la comtesse, avait lu ce qui suit :

« Pauvre enfant ! puisses-tu un jour rencontrer l’ami de ton père. M. Caraquette, le seul témoin qui ait assisté à mon mariage avec ton père. Les registres de la Baie des Chaleurs ont été brûlés dans l’incendie qui a détruit l’église du village. M. Caraquette a en sa possession tous les documents qu’il faut pour te mettre en possession de l’héritage de ton père, ton pauvre père qui est mort en te donnant le jour. Les Bouctouche ont toujours été les ennemis de notre famille. C’est un Bouctouche qui t’a lâchement spolié de ton héritage. Tous les jours je prie la Providence afin… »

Ici s’arrêtait le manuscrit.

La figure de Caraquette se troubla à la lecture de cette lettre.

Il eut comme un vertige et porta la main à son front.

Son sang battait avec tant de force dans ses veines qu’il lui semblait qu’il allait briser ses artères.

Tout son corps avait tressailli par un tremblement convulsif.

Il mit le morceau de papier dans la poche de son gilet, se croisa les deux mains et les laissa tomber entre ses jambes dans l’attitude d’un homme qui venait de recevoir une révélation foudroyante.

La comtesse avait vu pâlir Caraquette et elle était vivement intriguée par la pantomime qu’il faisait en achevant la lecture de la lettre.

Elle se leva de son siège et s’approcha de l’homme au chapeau de castor gris.