Page:Berthelot - Les mystères de Montréal, 1898.djvu/130

Cette page a été validée par deux contributeurs.
129

bien de m’accorder une petite entrevue dans le petit salon du premier étage où je t’attends avec impatience. Je suis ton bon ou ton mauvais génie.

« CARAQUETTE. »

Bénoni en lisant la missive de l’homme au chapeau de castor gris fut tout décontenancé. Il pâlit et se sentit faiblir. Pour ne pas tomber sur le plancher il fut obligé de s’appuyer sur le chambranle d’une porte. La foudre tombant à ses pieds ne l’aurait pas plus étonné que le billet de Caraquette.

Au moment où il allait approcher ses lèvres de la coupe de cinname son mauvais génie allait lui faire boire de l’absinthe à plein pot.

Il réfléchit pendant quelques instants.

En bravant les menaces de Caraquette, il risquait la situation et détruisait tous ses projets de bonheur.

Il voyait la silhouette de l’échafaud se dessinant dans un nuage sombre, et Ursule se tordant les mains aux pieds de la potence.

S’il faisait un compromis avec Caraquette, il pouvait comme pis-aller, lui abandonner la fortune des Bouctouche, se remettre au travail comme un homme et goûter une félicité sans bornes dans son ménage avec Ursule.

Sa décision fut bientôt prise.

Il tordit le billet dans ses mains nerveuses, et le déchiqueta avec ses dents.

Sans prendre le temps de s’excuser auprès de la compagnie, il descendit l’escalier d’un pas ferme et frappa à la porte du petit salon du premier étage.

Caraquette d’une voix forte et sèche lui dit : Entrez.

Bénoni entra et aperçut Caraquette assis, les coudes posés sur une table appuyant le menton sur ses deux pouces.

— Tiens c’est toi, dit l’homme au chapeau de castor gris sans se déranger et portant un regard inquisiteur sur Bénoni. Tu as reçu mon billet et tu as consenti à fausser compagnie à la charmante Ursule. Ursule est un bon brin de fille. Ce serait malheureux pour toi si ce soir, au lieu de reposer mollement dans ta couche nuptiale, tu couchais dans une des cellules de la station de police.

— Assez, monsieur Caraquette, fit Bénoni d’une voix tremblotante, assez. Vous allez me rendre fou. De grâce dites-moi ce que vous voulez que je fasse pour vivre tranquillement avec ma femme. Ne me pendez pas pour l’amour du bon Dieu ! Ayez pitié d’un jeune homme qui a eu un moment d’égarement.