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versé au trésor public l.a (luestinn a ^lé soiivont agiliV’ Jurant le xviu"’ sih’le ot il sullil d’ouvrir rE«c(/r/o/)Jii/<’ à l’article Fondalioti, § G, pour y retrouver l’idée de faire bénéficier l’Ktal des biens ecclésiastit]ues. M. de Puységur l’avait détendue et Turgot s’y était montré favorable. Plusieurs causes contribuèrent à faire passer celte idée dans les faits dés le début de la Révolution : avant tout, la déplorable situation des finances, l’engagement pris par l’Assemblée d’empêcher à tout prix « la hideuse banqueroute >. l’impossibilité d’exiger davantage d’un peu|iK’ qui pliait ^ons le poids de charges écrasantes et à ipii l’on venait de demander une contribution patriotique s’élevant jiflur chaque citoyen au quart de son revenu. Dans un jiared enib ;u’ras, il était naturel (pi’on songeit aux biens a’Kglise connue à une réserve suprêtne pour les cas désespérés ; leur énormité même rendait la tentation plus vive. Dans certaines provinces, comme le Hainaut et l’Artois, ils comprenaient les trois quarts des terres ; on peut estimer iju’ils occupaient au moins le cinquième du territoire total du royaume, et cela sans compter les couvents, palais, presbytères, que le clergé possédait, les trésors accumulés de toute sorte dans ses églises et ses abbayes, les dimes qu’il prélevait, le casitel qui faisait des baptêmes, des mariages, des funérailles, une rente assurée pour lui, de l’argent enfin qu’il obtenait de l’Etat au lieu de payer sa part d’impôts et qui, certaines années, suivant des calculs modérés, lui laissait un bénéfice net de 1,500,000 livres.

Ce qui augmentait encore le danger, c’était la répartition scandaleusement inégale de ces richesses. Le clergé se composait de prêtres millionnaires et de prêtres indigents. Suivant l’expression de Michelet, « ce corps énorme, à la tête crevant de graisse et de sang, était, dans ses membres inférieurs, maigre, sec et famélique ». M. de Brienne possédait en divers bénéfices 678,000 livres de revenu annuel, et une seule coupe de bois dans les domaines d’une seule de ses abbayes lui avait rapporté un million. Un abbé de Clairvaux avait de 3 à 400,000 livres de rentes. Un vicaire de campagne, réduit à la portion congrue, touchait par an 35t) livres. Révolté de cette injustice, le bas clergé nourrissait contre le haut clergé une jalousie confinant à la haine et, dans la question des biens ecclésiastiques, plus d’un curé ne craindra pas de se prononcer contre les évêques et les archevêques. Enfin si l’on songe à l’état des esprits à la fin du xviii» siècle, au lendemain de la campagne la plus vigoureuse qui ait jamais été menée contre l’Eglise catholique elle dogme chrétien ; si l’on pense que certains ordres de moines avaient compromis leur caractère sacn’ en se faisant fabricants et marchands de liqueurs, de sucres, d’indigo ; que l’incrédulité avait piuétré, non seulement la noblesse et la bourgeoisie, mais le clergé même ; qu’abliés, moines et prélats avaient souvent suivi et parfois mené le branle de l’irréligion et de la débauche ; on comprendra sans peine que les biens du clergé inspirassent un respect médiocre et qu’ils parussent aux yeux de beaucoup de personnes mal acquis, mal employés, mal distribués. Déjà certains Cahiers, par exemple celui d’Avesnes, en réclamaient la vente ; dès le 6 août, Buzot prononçait ces paroles : « Les biens ecclésiastiques appartiennent à la nation. » Bientôt une série de mesures annoncèrent et préparèrent le grand coup. Ce fut la suppression pure et simple des dîmes, conséquence de la nuit du 4 août ; ce fut la motion du baron de Jessé proposant de porter à la Monnaie l’argenterie des églises. Le clergé hésita, combattit, se divisa, mais se résigna en somme d’assez bonne grâce à un sacrifice prudent. Le 28 sept. 1789, une lettre signée de plusieurs religieux de Saint-Martin-des-Champs offrait à la nation tous les biens de l’ordre de Cluny auquel ils appartenaient. Le lendemain, les dignitaires de la congrégation protestaient contre cette ofire et la retiraient. L’opinion publique n’en était pas moins saisie de la question et quelques jours après l’Assemblée l’était à son tour. Le lOoct., Talleyrand, évéque d’Autun, proposait solennellement un long projet de loi dont ’ Article l était ainsi conçu : * Les rentes et biens fonds du clergé, de que^pie nature qu’ils soient, seront remis ; la nation. »

On l’a souvent remarqué, les ennemis les plus redoutables d’un corps sont ceux qui en font partie et (jui l’attaquent du dedans ; Talleyrand, qui, en qualité d’agent général du clergé, avait administré sa fortune, prouvait une fois de plus la justesse de cette remarque. Ce n’est pas au Munitcur qu’il faut chercher la discussion que souleva la motion do Talleyrand. Elle y est incomplète, écourtée. Les Archivrs parlementaires ne la donnent même pas tout entière. Comme plus de cinquante orateurs s’étaient fait inscrire, beaucoup ne purent pas prendre la parole ; d’antres députés ne se sentirent pas en état de prononcer un discours à la tribune ; les uns et les autres firent imprimer leur opinion et circuler parmi le public leurs harangues écrites. L’abbé Siéyôs, l’abbé de Hastignac, le comte de Clermont-Tonnerre, Talleyrand lui-même furent au nombre de ces orateurs muets, dont l’influence fut souvent considérable. La motion de Talleyrand, déposée le 10 oct., était longue, compliquée, surchargée de chiffres. Mirabeau sentit la nécessité de choisir une formule plus brève et plus nette. 11 déposa donc le 12 une seconde motion ainsi conçue : « Qu’il soit déclaré : « 1" Que tous les biens du clergé sont la propriété de la « nation, sauf à pourvoir d’une manière convenable à la « décence du culte et à la subsistance des ministres des « autels ; 2" que les appointements des curés ne seront « pas au-dessous de 1,200 livres, non compris le logement. » Ce second paragraphe assurait à Mirabeau l’appui du bas clergé.

La discussion s’engagea le lendemain 13. Elle fut passionnée dès le début, comme on pouvait s’y attendre. Les interruptions couvraient souvent la voix des orateurs et le vicomte de Mirabeau put se plaindre que « la logique des poumons y fût aussi nécessaire que la logique du raisonnement ». Le clergé fit de grands efforts pour ajourner ou éluder la question ; la discussion, après avoir rempli la journée du 13 oct., fui interrompue ; elle fut reprise le 23 et le 24, et abandonnée de nouveau ; puis elle occupa les séances du 30 et du 31 et se terminale 2nov. Durant ce temps, il se passa quelques événements (jui purent influer sur le vole final : ce fut la translation de l’Assemblée à Paris, la représentation du Clunies IX de M. J. Chénier, l’appel à la guerre civile lancé dans son mandement par l’évêque de Tréguier, et la tentative d’insurrection qui en fut la suite dans celte partie de la Bretagne. Les débals portèrent sur deux points principaux : 1<* A qui appartient la propriété des biens du clergé ? 2" Y a-t-il avantage ou perte pour la nation à les vendre ? Autrement dit, on examina le principe et les conséquences, la question du juste et de l’injuste et celle de l’utile.

Les plus brillants et les plus vigoureux avocats du clergé furent l’abbé Maury, M. de Béthisy, évéque d’Uzès, M. de Boisgelin, archevêque d’Aix, le vicomte de Mirabeau. Ils soutinrent d’abord que l’Eglise était propriétaire dans l’acception la plus rigoureuse du terme ; ils remontèrent à l’origine de ses biens ; ils montrèrent qu’ils lui avaient été donnés par des fidèles ou qu’ils avaient été achetés par elle du produit de ses économies ; ils rappelèrent le travail de tant de générations successives qui avaient* défriché le sol et la littérature » de la France ; ils invoquèrent, comme un titre sacré, la possession incontestée dont le clergé avait joui durant tant de centaines d’années. « Que devient, s’écria M. de Boisgelin, la première de toutes les lois, sans laquelle toutes les autres ne sont rien, la prescription ? » — Cependant, au cours de la discussion, ils moditièrent légèrement leur attitude primitive. On leur avait répliqué que l’Eglise se composait de tous les fidèles et non pas seulement des prêtres ; qu’ainsi comprise, elle se confondait avec la nation, et que le clergé n’était qu’administrateur au nom et à la décharge de celle-