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constituer un ordre religieux, dans la réelle acception du mot. Benoît avait composé une règle très propre à établir l’ordre, ordre excellent, dans le régime intérieur des monastères ; mais il n’avait pas fondé un ordre monastique : il n’avait songé ni à associer les couvents entre eux, ni à leur fournir les moyens de se concerter sur leurs intérêts communs, ni à centraliser leur action, ni à établir sur leur ensemble une autorité supérieure, gardienne de la discipline et de la tradition. Le Mont-Cassin jouissait, il est vrai, d’une considération particulière, et on décorait son abbé du titre d' abbé des abbés. C’était tout, et c’était trop peu. Cette abbaye, accablée de richesses, avait donné l’une des premières et donna souvent plus tard l’exemple du relâchement. D’ailleurs, pillée et ruinée tour à tour par les Lombards et par les Sarrasins, abandonnée et reprise par ses moines, elle n’eut pendant plusieurs siècles qu’une existence menacée et précaire, incompatible avec une action permanente sur les autres monastères. À part le lien fort lâche qui unissait quelques maisons secondaires à une maison-mère, toutes les abbayes étaient indépendantes les unes des autres ; l’observance de la règle n’y avait d’autre sauvegarde que les dispositions des abbés. Ceux-ci s’étaient affranchis de l’ingérence du clergé inférieur, et leur monastère formait une paroisse monastique. Cette paroisse restait, comme les paroisses séculières, soumise à la juridiction de l’évêque, en théorie ; car en fait l’abbé était ordinairement assez puissant pour n’avoir point à s’inquiéter de l’évêque. D’un autre côté, les richesses des abbayes plaçaient devant les moines une incessante tentation de s’accorder les jouissances qu’elles peuvent procurer et devant les puissants du dehors une invitation non moins séduisante à venir s’y faire leur part (V. Abbaye, I. I, p. 35). De là, des relâchements et des abus de tout genre, des intrusions et des usurpations irrémédiables, des tentatives de réforme et de réorganisation.

Les tentatives de réforme, comme celle de Benoît d'Aniane et de Gérard de Broglie (V. ces noms), tendant à renforcer la règle, sans ajouter à l’organisation les éléments qui lui manquaient, ne pouvaient produire aucun résultat durable. Tout autre fut l’effet de la fondation de l’abbaye de Cluny (910). Cette fondation correspond à ce que nous appelons la quatrième évolution du régime monastique. La Congregatio cluniacensis, en vertu des dispositions de Guillaume d’Aquitaine, qui en avait établi la première maison dans ses domaines, et soutenue en cette revendication par la protection des papes, réussit à s’affranchir de la juridiction des évêques. En même temps qu’elle acquérait ainsi l' exemption, qui est la première condition de la formation d’un ordre monastique autonome, c.-à-d. d’un ordre monastique véritable, elle organisait la centralisation, qui en est la seconde condition. Elle était dirigée souverainement par l’abbé de Cluny, archi-abbé de l'archi-monastère. Tous les ans, les supérieurs des maisons affiliées (on prétend qu’il y en eut deux mille) devaient se réunir dans la maison-mère pour délibérer sur les applications de la règle ; mais l’autorité de l’archi-abbé sur toute la congrégation était press que aussi absolue que celle qui avait été attribuée par Benoît à l’abbé sur chaque monastère. Les coutumes de Cluny furent rédigées, au xie siècle, sous forme de règlement : elles servirent de base à la constitution de la congregatio Hirsaugiensis (1071), fondée en Württemberg par Guillaume, abbé de Hirschau. — Vers la fin du xie siècle, le relâchement de la congrégation de Cluny suscita parmi les hommes épris de perfection monastique, diverses tentatives de réforme ou d’organisation nouvelle. L’une d’elles aboutit en 1119 à la création d’une association rivale, la Congrégation de Cîteaux, de dénomination bénédictine, mais dont la discipline était régie par la Charta charitatis, qui différait sensiblement de la règle de Benoît et des coutumes de Cluny. L’abbé de Ctteaux était le supérieur de toute la congrégation ; mais son pouvoir était limité par un Collège de définiteurs. Ceux-ci visitaient ou


plutôt devaient visiter annuellement tous les couvents, sans en excepter la maison principale ; chaque année aussi un chapitre général, composé de tous les abbés, devait se réunir pour délibérer sur les questions importantes. Dés 1151, cette congrégation comptait cinq cents abbayes. Les cisterciens s’étaient interdit toute immixtion dans le ministère du clergé séculier ; ce ne fut qu’en 1311, au concile de Vienne, qu’ils réclamèrent l’exemption de la juridiction épiscopale. Ils remplacèrent le costume noir des bénédictins de leur temps par un costume blanc, qu’on prétend avoir été primitivement celui des moines du Mont-Cassin. De là, les désignations de bénédictins blancs et de bénédictins noirs usitées parmi le peuple.

Au xiiie siècle, tous les bénédictins, blancs ou noirs, sont mis à l’arrière-plan par la création des ordres mendiants, milice monastique plus populaire, plus apte par conséquent à servir l’église, et qui servit surtout la papauté. Cependant le prestige du vieux nom et les dispositions du concile de Latran (1215) interdisant les formations nouvelles firent qu’en l’espace de quatre siècles, plus de vingt ordres réformés se produisirent, affirmant tous conserver la règle de Benoît dans sa pureté et son intégrité primitives ; mais tous y ajoutant des interprétations et des applications absolument étrangères et parfois même tout à fait contraires aux conceptions de Benoît. Quand l’ordre alphabétique en amènera le nom, nous esquisserons l’histoire et nous indiquerons les caractères de ces communautés, qui se prétendaient issues de la souche bénédictine. Suivant nous, les vrais bénédictins doivent être cherchés ailleurs. Au mot Monastère, nous donnerons la liste de leurs principales maisons. Il suffit de constater ici qu’en général ces monastères étaient des maisons opulentes, profitant de leur opulence et formant dans le monde monastique les cadres d’une véritable aristocratie. Le titre de dom devint une espèce de titre de noblesse. À part certains accès de fièvre réformatrice, fort passagers, ceux qui portaient ce titre pratiquaient un ascétisme plus que modéré, n’empruntant guère à la règle bénédictine, que certaines apparences fort extérieures ; professant pour le latin une prédilection, qui n’avait qu’un rapport fort lointain avec la conservation de la littérature classique, mais qui les isolait du peuple, dont les ordres mendiants savaient bien parler la langue ; quelques-uns se livraient sérieusement à l’étude ; mais ces derniers infiniment plus rares qu’il n’est convenu de le dire : au xive siècle, Boccace, visitant la bibliothèque de Mont-Cassin, trouvait les livres couverts de poussière ou déchirés par les moines, qui les vendaient aux paysans pour servir aux sortilèges. — Le concile de Trente (session XXV ; De reform., c. 8) décréta que tous les monastères qui n’étaient pas soumis à des chapitres généraux ou aux évêques et qui n’avaient point leurs visiteurs réguliers ordinaires, seraient tenus de se réduire en congrégation, et de tenir assemblée de trois ans en trois ans. — En 1601, fut établie en Lorraine la Congrégation de Saint-Vannes de Verdun ; en 1606, l’abbaye de Saint-Denis fut érigée en congrégation bénédictine ; en 16'27, la Congrégation de Saint-Maur, fondée à l’instar de Saint-Vannes, suivant la réforme de dom Didier, et pourvue de lettres patentes de Louis XIII, fut approuvée par le pape : elle avait pour centre l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés ; le cardinal de Richelieu ordonna à tous les couvents bénédictins du royaume de s’y rattacher. C’est elle qui a fourni la meilleure part des travaux qui ont illustré le nom des bénédictins (V. Bénédictines).

Dans la querelle des jésuites et des jansénistes, les bénédictins français prirent parti pour les derniers : ce qui leur attira des vexations et des persécutions de tout genre. Ils cédèrent sous cette pression ; mais quand les jésuites furent bannis (1663), leurs établissements d’instruction furent remis aux bénédictins. Sur douze écoles reconnues par le gouvernement, ils en dirigeaient six : Sorrèze, Rebain, Beaumont, Pont-le-Roy, Dôle et Auxerre. — En 1833, dom Prosper Guéranger entreprit de reconstituer