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BENOIT — 206 —

D’après Mabillon, Benoît aurait rédigé sa règle en 528 au Mont-Cassin. On dit que le texte original a été brûlé à Teano, près du Mont-Cassin, vers la fin du ixe siècle. Suivant un écrivain du xiie siècle, elle aurait été publiée pour la première fois par Simplicius, troisième abbé de Mont-Cassin. On a prétendu, sans fournir de preuves, qu’elle a été composée ou au moins rédigée, non par Benoît, mais par le pape Grégoire le Grand. Quel qu’en soit l’auteur, le style, l’esprit, la concordance des dispositions attestent, non seulement que cette règle est bien l’œuvre d’un seul homme, mais que, si elle a reçu d’incontestables additions, elle n’a point subi d’altérations essentielles dans le cours des siècles qu’elle a traversés. Ce qui la caractérise, c’est qu’elle a remplacé par une constitution d’ensemble ce qui n’était auparavant qu’une réglementation de détail, et qu’elle a fait un corps systématiquement organisé, de ce qui n’était guère qu’une agrégation de personnes gardant une certaine part de leur individualité et de leur liberté. — Dans ce but, elle commence par attacher le religieux à son monastère par un lien indissoluble ; elle transforme ce qui n’était que l’expression d’une résolution en un vœu perpétuel, contracté avec une grande solennité et dont on ne peut se démettre sans apostasie : le religieux qui abandonne la vie monastique devient un apostat devant subir toutes les conséquences de l’apostasie : pénalité qui fut sanctionnée, non seulement par la loi ecclésiastique, mais plus tard par la loi laïque. Comme la porte par laquelle on pent rentrer dans le monde est inexorablement fermée derrière quiconque a prononcé le vœu, la règle soumet la prononciation de ce vœu à des conditions qui permettent au postulant de s’éprouver lui-même : pétition écrite pour l’admission ; âge : dix-huit ans au moins ; consentement des parents ou des tuteurs ; une année et dès le siècle qui suivit Benoît deux années de noviciat ; pendant ce temps, obligation de copier la règle trois fois, à certains intervalles. — Il vint un temps où tout bénédictin prit le titre de dom, domnus ; mais l’abbé seul peut s’appeler dominus ; en effet, il est le seul maître du monastère. Tous les religieux ont le droit de concourir à son élection ; ils peuvent le choisir sans tenir compte de l’ancienneté ; mais dès que l’abbé est élu, il devient un mettre absolu et irresponsable. Quoique dans toutes les occasions sérieuses il doive prendre conseil des frères ; de tous, pour les affaires les plus importantes ; des anciens, pour les moindres, c’est à lui qu’appartient la décision définitive, irrévocable et sans appel. Il choisit le prieur et les doyens et il peut les déposer, le prieur après quatre avertissements, les doyens après trois. Cependant le prieur est nommé à vie, comme l’abbé ; c’est pourquoi Benoît, qui redoutait les conflits d’autorité et les divergences de direction, préfère au prieur les doyens, decani, chargés de la direction de dix religieux, parce qu’ils ne sont, comme les autres officiers du monastère, tels que le cellerier, le pitancier et le secrétaire, nommés qu’à temps : le doyen pour dix ans, les autres pour quatre ans ou même un an. L’autorité de l’abbé est armée d’un droit de correction qui s’exerce par les admonitions : deux en particulier, une en public ; par les excommunications : la petite emportant exclusion de la table commune et des offices à la chapelle, la grande privant de la participation aux rites de l’Eglise ; par le fouet ou la bastonnade, par l’emprisonnement au d’autres châtiments corporels ; enfin, par l’expulsion. La légende montre Benoît usant paternellement sur les membres de certains religieux d’une verte baguette qui avait la vertu de chasser du corps de ceux qu’il tentait le démon, qui n’aime pas les coups.

Sous la direction souveraine de l’abbé, le couvent présente l’image d’une démocratie ne tolérant d’autres supériorités que celles qui résultent de la hiérarchie monastique. Toutes les distinctions établies dans le monde en sont exclues : en dehors de la chapelle, le prêtre lui-même ne jouit d’aucune préséance sur les simples frères et le serf


est l’égal des plus nobles. Tous doivent participer aux mêmes labeurs et aux mêmes exercices. Cependant il est juste de constater qu’en fait peu de serfs ou d’hommes du bas peuple furent admis parmi les bénédictins, qui se recrutaient ordinairement dans les hautes classes. D’autre part, la règle établit une hiérarchie fort graduée entre les divers membres du monastère et elle détermine, avec la minutie d’un cérémonial diplomatique, les relations et le maintien de ces membres entre eux. — La journée d’un bénédictin suivant exactement la règle doit se composer alternativement de travail, manuel ou intellectuel, et de prières : opus Dei vel divinum officium, labor et lectio, avec de courts intervalles pour les repas et le repos. En hiver le milieu du jour, en été le matin et le soir sont réservés au travail manuel ; les heures de chaleur en été, l’obscurité des matinées et des soirées d’hiver sont affectées à l’étude. À ce propos, nous croyons devoir constater ici que les principaux historiographes de l’ordre de Saint-Benoît, lesquels étaient des bénédictins écrivant à une époque où leur ordre avait accompli sa dernière évolution, et les auteurs qui ont reproduit leurs assertions ont grandement exagéré la part que la règle primitive faisait à l’étude. Cette part nous parait avoir été plus large et plus effective en bon nombre de monastères qui florissaient avant que la règle bénédictine dominât en Occident. En réalité, Benoît, attribuant presque toutes les heures au travail manuel et aux offices de la chapelle, en laisse fort peu à l’étude et à la lecture ; et comme objet il ne mentionne que l’Ecriture sainte et les ouvrages des pères. Au xviie siècle, Mabillon dut soutenir contre l’abbé de Rancé, fondateur de l’ordre des trappistes, une vive controverse au sujet des études séculières, les trappistes prétendant qu’en omettant ces études, la règle les prohibe. — Sept heures canoniques, séparées par des intervalles, sont réservées pour les offices du culte : matines ou laudes, au lever du soleil en été, prime, tierce, sexte, nones, vêpres, complies. Il faut y ajouter le service de minuit, nocturnæ vigiliæ, qui doit avoir lieu un peu avant les matines. — Pour la culture et les travaux extérieurs, Benoît prescrit le scapulare, collet couvrant les épaules ; pour la prière et l’étude, le cucullus, sorte de capuchon ; le reste est laissé au pouvoir discrétionnaire de l’abbé. Cette latitude a permis d’adapter le vêtement des bénédictins au climat des divers pays où ils se sont établis : jusqu’au viiie siècle il était généralement de couleur blanche. — Les dispositions relatives aux aliments prescrivent la tempérance dans le sens le plus strict, mais délaissent la mortification proprement dite et les macérations systématiques : elles font la part du nécessaire. En outre, l’abbé peut relâcher la rigueur des règles ordinaires sur la quantité et la qualité. Il lui est recommandé de proportionner la nourriture au travail. — Les meilleurs textes de cette règle se trouvent dans le Codex regularum monasticarum et canonicarum de Holstenius (Rome, 4664, 3 vol. in-4 ; Augsbourg, éd. Brockie, 6 vol. in-fol.) ; dans l’édition de Martène (Paris, 1690, in-4) et dans celle de Calmet (Paris, 1734). Ces deux derniers auteurs y ont joint un commentaire. Deux autres commentaires ont été écrits avec des tendances fort inverses, l’un par J. Mège, de la congrégation de Saint-Maur, que les bénédictins stricte jugent trop large : Commentaire sur la règle de saint Benoît (Paris, 4687) ; l’autre par M. de Rancé, abbé de la Trappe : la Règle de saint Benoît expliquée (Paris, 1690).

Ordre de saint-Benoît. — La prédominance, acquise par la règle de saint Benoît, imposa l’uniformité aux monastères de l’Occident. Dès le ixe siècle, on peut dire que, sauf des exceptions infiniment rares, ils sont tous bénédictins car ils sont tous soumis à la règle et à l’architecture bénédictines. Or, cette soumission et une similitude de ce genre ne suffisent pas, comme nous l’avons déjà dit en parlant de l’œuvre de Basile le Grand, pour