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6. Il répondit : — « La société future est semblable à une fleur luxuriante — croissant dans un riche humus. »

7. « Il n’y avait autrefois en ce lieu qu’une pierre nue, — un dur granit lavé de pluie. »

8. « Mais sur ce granit ont végété d’abord les lichens qui se contentent de peu — puis entre ceux-ci les mousses et les hépatiques.

9. « Et voici que ces premiers ont retenu les eaux de pluie — et des graines portées par le vent ont germé sur la pierre et ont poussé. »

10. « Jusqu’à ce que la surface de la pierre s’effritât et se couvrît de sable et d’humus — assez riche pour nourrir la fleur luxuriante. »

11. « Ainsi la Société future n’est possible que grâce aux formes antérieures — qui ont préparé le terrain où elle croîtra. »

12. Mais quelqu’un dit alors pour l’éprouver : — « La Société future sera fille de la violence. »

13. Il dit : « Aucune femme n’accouche sans effort — mais l’enfant naît quand son heure est venue. »

14. « La Société future est semblable à un poussin dans sa coque — il doit la briser avec violence, sans quoi il ne pourrait sortir. »

15. « Mais ce n’est pas la violence qui a fait naître le poussin — ainsi que le germe et la nourriture qui était dans l’œuf. »

16. « C’est grâce à la coquille qu’il a pu se développer et prendre force — mais elle est maintenant un obstacle à la nouvelle forme de vie. »

17. « C’est pourquoi il brise cette coquille qui l’étouffe — et laisse épars les débris inutiles. »

18. Il dit aussi : — « La Société future est encore semblable à une grande rivière — lorsqu’après les pluies elle se met à grossir. »

19. « Les arbres et les lianes des îles obstruent son cours — et le sable forme des barrages en travers de son lit.

20. « Alors les eaux s’accumulent derrière cet obstacle qui les arrête — et il semble que la rivière cesse de couler. »

21. « Mais soudain cette digue s’effondre, les arbres se brisent, le sable se disperse — et les eaux se précipitent avec une impétueuse violence. »

22. « Et cette violence est nécessaire, car la rivière ne peut cesser de couler — et c’est une vaine tentative que d’arrêter les grandes eaux. »

23. « Mais ce n’est pas la violence qui a fait croître et s’enfler la rivière — mais les grandes pluies qui sont tombées, et le barrage lui-même. »

24. Alors ceux qui l’écoutaient comprirent et se pressèrent autour de lui. — Et il continua à leur parler par paraboles :

25. « Mais il arrive que les eaux en rompant le barrage avec violence — sortent de leur lit et ravagent les champs et les maisons des hommes. »

26. « C’est pourquoi ceux qui savent prévoir se munissent de haches et de crocs — en veillant à ce que rien n’obstrue le cours du fleuve,

27. « Et si malgré tout il se forme un barrage, ils courent le détruire — de n’importe quel moyen, sans se préoccuper du danger. »

28. « Et quelques-uns périssent, mais ne vaut-il pas mieux périr — que de vivre privé de tout et sous une menace perpétuelle ? »

29. « En vérité, je vous le dis : munissez-vous de tout ce qu’il faudra — pour n’être pas pris au dépourvu quand sonnera l’heure. »

30. Et ceux qui l’entendaient disaient : — « Il a raison. — Nous vivons privés de tout, et sous une menace perpétuelle. »

31. « Il vaut mieux tout affronter que vivre ainsi, car nous n’avons rien à perdre que des chaînes — et tout à gagner. »

32. Et ils se dispersèrent pour aller annoncer ces choses — et conseiller à leurs frères de se préparer pour quand viendra l’heure.

33. Mais quelqu’un fut le dénoncer, disant : « Il prêche la violence et de désordre. » — Et les puissants résolurent de le mettre à mort.