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10. « Malheur à vous, clercs et dévots, qui prêchez la pauvreté et l’abstinence — et qui amassez des richesses, et êtes avides d’honneurs et de pouvoir ! »

11. Alors un homme politique lui dit : « Homme, en disant cela tu nous offenses, nous aussi ! »

12. Mais il répondit : « Malheur à vous aussi, législateurs et moralistes — qui chargez le monde de lourdes règles, que vous ne touchez pas du doigt.

13. « Malheur à vous, qui édifiez des statues à ceux que vos pères ont tué — et qui continuez à tuer ceux qui disent les mêmes choses ;

14. « Car il vous sera demandé compte de tout le sang versé — pour soutenir votre puissance.

15. « De tous ceux qui sont venus annoncer une part de vérité — et que vous avez tués, brûlés, étranglés, décapités, fusillés,

16. « De ceux qui sont morts dans les cachots, — sous le soleil de Cayenne ou sous la neige de Sibérie.

17. « De tout ce sang, de toute cette douleur — il vous sera, je vous le dis, demandé compte, avant que cette génération ne passe ! »

18. Et le peuple se groupait autour de lui, murmurant : « Celui-ci est trop hardi, il ne parlera pas longtemps ».

19. Mais il leur dit cette parabole : « Un homme en mourant laissa un riche verger en héritage à ses deux fils.

20. « Or, le plus jeune de ses fils savait lire et écrire — mais il était plein d’astuce et de malice.

21. « L’autre était simple et bon, mais il n’avait jamais rien pu apprendre — car il travaillait sans cesser, faisant chaque jour la tâche de son frère, outre la sienne.

22. « Or, quand le père mourut, le plus jeune prit un papier — et écrivit sur ce papier mille folies et mille absurdités.

23. « Et, le présentant à celui qui ne savait pas lire, lui dit : — « Ce papier est le testament des volontés de notre père ».

24. « Voilà ce qu’il nous enjoint : moi je dois tenir les comptes, dire les prières — et faire des choses mystérieuses, que tu es trop simple pour comprendre ; »

25. « Et toi, tu dois cultiver le verger, tailler les arbres — soigner les rejetons et greffer les sauvageons ; »

26. « Et tu récolteras les fruits quand ils seront mûrs, mais nous ne les mangerons pas — car ils sont pour notre père qui est mort, et ceci est un mystère sacré. »

27. « L’ignorant le crut et obéit ainsi durant longtemps — mais un jour il apprit à lire, »

28. « Et il lut le prétendu testament de son père — et vit que ce n’était que mille folies que son frère avait inventées ».

29. « Et il surveilla son frère, et le surprit — qui mangeait à lui seul les fruits du verger. »

30. « Et il jetait tout ce qu’il ne pouvait conserver — pour que son imposture ne fût pas découverte. »

31. « Alors il s’indigna dans son cœur contre ce frère imposteur — et le chassa violemment loin du verger. »

32. Or les clercs et les hommes politiques, entendant cela, furent saisis de rage — car la vérité est une épine cruelle, »

33. Et ils commencèrent à lui poser des questions insidieuses — pour le saisir en faute contre la loi et le faire tuer. »


Ch. VI


1. Un élève clerc s’approcha de lui, et lui demanda : — « Maître, devons-nous respecter la Loi ? »

2. Mais il répondit : — « Jeune serpent — pourquoi m’appelles-tu maître ?

3. « Il n’y a en vérité ni disciples ni maîtres — car le maître lui-même peut apprendre beaucoup de son propre disciple. »