Page:Berteval-Le theatre d'Ibsen, 1912.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
289
LE PETIT EYOLF


trouvés ! Et en même temps ils ont retrouvé en eux la conscience des deux êtres qui les ont quittés, à la présence desquels ils n’ont jamais demandé que des satisfactions personnelles, les absents qu’ils ne peuvent plus aimer égoïstement, les deux Eyolf qu’ils devaient perdre pour les comprendre. La « loi de transformation » s’est réalisée tout entière pour eux !

Mais le lecteur reste sous une singulière impression. Cet Allmers renonce aux égarements de l’esprit, mais c’est pour une satisfaction qui n’est plus du monde ; il se sent « enfant de la terre, » mais il a perdu la joie de vivre, et, sage enfin, ou se croyant tel, il s’abandonne aux penchants naturels sans l’instinct du bonheur. La seule pièce d’Ibsen qui semble aboutir à une conclusion morale positive se perd dans une effroyable contradiction. Tous les doutes qui hantèrent le dramaturge à la fin de sa vie sont au fond de ses suprêmes affirmations, et il ne reste plus, à celui qui a soulevé tant de problèmes, que la gloire de les avoir posés, l’orgueil de sa sincérité, l’angoisse de ne rien savoir, et peut-être l’espoir dans la pensée et dans l’art de l’avenir.


19