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LE THÉATRE D’IBSEN


des pauvres chaumières. Ils ont vécu égoïstement loin de tout ce qui est la vie, et leur deuil ne les a pas fait sortir d’eux-mêmes : tout cela ne changera-t-il pas s’ils se mettent à vivre pour les autres ?

Maintenant Rita se souvient : elle rappelle à son mari son ouvrage sur la responsabilité ; elle songe au culte égoïste qu’ils ont voué tous deux au petit Eyolf, gardant comme une relique tout ce qui lui avait appartenu. Pourquoi ne pas en faire profiter les autres ? Et un jour, ayant puisé la force dans l’épreuve, et la pitié dans la souffrance, ils découvriront des responsabilités où ne sauraient les montrer les livres, et leur bien-aimé, leur petit Eyolf, dans tous ceux qui auront besoin d’eux !

Et Allmers aussi se souvient. Un jour, s’étant égaré dans le fjœll, loin de tout chemin, la nuit, et au bord d’un grand lac désert, il avait senti passer la mort. La mort n’avait pas voulu de lui. Après avoir côtoyé les abîmes tout un jour et toute une nuit, il avait atteint l’autre rivage, reconnu sa route et retrouvé le goût à la vie. C’est alors qu’il s’était décidé à rentrer auprès d’Eyolf pour l’élever dans la liberté et selon la nature. La nuit mortelle avait été une nuit d’inspiration. De même à présent les époux ont senti quelque chose mourir en eux. Rita a dû renoncer à ce qu’il y avait de trop physique, de trop brûlant dans son amour, Allmers à la perversion de cœur qui l’entraînait vers Asta, et tous deux au petit Eyolf. Mais la douleur les a unis, — mais cette perte est un gain, ils ont eu les angoisses de la mort et le pressentiment de résurrection, — au moment où ils étaient pauvres de tout, ils ont eu besoin l’un de l’autre et ils se sont