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LE PETIT EYOLF


avec celui d’Allmers un contraste voulu et complet. Sans doute elle aussi s’est laissé troubler peu à peu par son intimité avec Allmers ; mais malgré tout, c’est Borgheim qui est la jeunesse et la vie, et qui deviendra sans doute le bonheur et l’amour. Courageusement elle dit adieu à son premier compagnon. Un jour elle s’est appelée pour lui le petit Eyolf. Elle ne veut pas l’oublier. Et Allmers, demeuré seul, perd une seconde fois le petit Eyolf, et entend passer le second avertissement de la Fatalité.

Les deux Eyolf l’ont quitté, le premier est parti dans la mort, l’autre est allé à la vie. C’est la diversité des choses, et toutes les destinées s’accomplissent autour d’Allmers, qui a la sienne aussi, et qui comnmence à l’accepter devant la logique des événements et dans le silence des passions troubles.

Seul avec Rita, dans la nuit descendante, et deux fois visité par la douleur, il entrevoit l’erreur de sa vie. Sa femme est près de lui, qui a pleuré sur les mêmes séparations, et souffre la même douleur. Elle regarde s’éloigner le bateau qui emporte Asta et Borgheim, et qui, avec l’indifférence des choses, est venu mouiller à l’endroit même où son petit Eyolf a péri. Dans une douloureuse hallucination, elle croit apercevoir les yeux de son enfant dans les fanaux allumés, et le tintement de la cloche lui rappelle le bruit de l’effroyable béquille. Plus près d’elle, la vie journalière suit son train, on entend rentrer les villageois, des clameurs, des bruits de rixes s’élèvent. C’est une autre voix de douleur, c’est l’appel de la misère humaine. Et pour la première fois les époux pressentent un lien entre leur souffrance et celle qui monte