Page:Berteval-Le theatre d'Ibsen, 1912.djvu/305

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
283
LE PETIT EYOLF


leur, va jusqu’à attribuer au mauvais œil d’Eyolf tous les maux qui la torturent. Allmers, dans son indifférence d’intellectuel, se croit bien au-dessus de cette femme passionnée. Et tous deux se trompent, et tous deux souffrent abominablement, au moment où s’accomplit la Destinée, où, dans une fin d’acte merveilleusement mouvementée, le petit Eyolf a suivi vers le fjord la femme aux rats, où des voix éplorées disent avoir vu flotter la béquille, et où les parents, unis désormais par l’irréparable malheur, se le reprochent encore l’un à l’autre ! « Il avait le mauvais œil, » a dit la mère. Et, avant qu’un remous l’emportât, on a vu l’enfant au fond de l’eau, les yeux grands ouverts, et attachant sur tous maintenant son regard inanimé de reproche et de malheur !

Dès la fin du premier acte le petit Eyolf n’est plus ; mais à présent plus que jamais il remplit toute la pièce de sa présence invisible.

Les deux derniers actes, c’est la douleur des parents, mais cette douleur même ne les a pas tout de suite instruits.

Au lieu d’aller à Rita, Allmers demande la consolation à Asta. Le deuxième acte s’ouvre par une scène admirable entre le frère et la sœur. Je ne crois pas que la lassitude, le découragement et la douleur aient trouvé nulle part une expression plus saisissante. La souffrance d’Allmers est désespérée parce qu’elle se sent stérile. Vivant, il aimait son fils pour le rêve qu’il avait fait à son sujet, c’est soi-même qu’il chérissait dans le petit Eyolf ; le malheur maintenant ne l’a pas instruit, et dans son enfant mort ce n’est pas encore le petit Eyolf qu’il a appris à pleurer. Aussi