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LE THÉATRE D’IBSEN


régions de l’idée pure, il semble que la nature prenne en lui comme une revanche. Dès que ce cérébral cesse de penser, tous les instincts se déchaînent en lui, son amour pour Rita s’exaspère jusqu’à la lascivité. Et un jour Allmers ne devra chercher de satisfaction aux plus nobles aspirations que dans les chimères de la pensée abstraite, ou dans les réalités de l’amour charnel ! Un jour, le petit Eyolf, encore en bas âge, avait été laissé sur une table, commis à la garde d’Allmers. Mais Rita était venue, la femme avait attiré l’homme dans ses bras, ç’avait été « une heure de feu, d’irrésistible beauté. » Et le petit Eyolf était tombé, était resté estropié pour la vie. Grandi, il avait traîné après lui une béquille, deux fois impropre à la vie par l’éducation livresque qu’il recevait des siens, et par l’infirmité dont il payait leur heure de plaisir ! Son orgueil d’enfant précoce, sa faiblesse d’mnpotent, c’est toute la vie d’Allmers. Et ce sont les deux principes contraires qu’il a semés, et qui vont faire de son petit Eyolf l’enfant destiné à périr.

Un jour Allmers s’est senti incapable de résister plus longtemps à son trouble grandissant. Au premier mot d’un médecin, il est parti pour un long voyage et pour la solitude des fjœlls. C’est là qu’on se purifie, dans l’air glacé, et loin des convoitises de la terre. C’est dans le fjœll déjà que Brand avait rencontré la petite Gerd, et qu’il s’était retiré pour mourir. Allmers aussi y a trouvé les saines pensées. Il a vu ce qu’il y avait en lui d’artificiel, il a renoncé à son livre abstrait, comprenant, pour la première fois qu’il avait à son foyer une œuvre vivante à accomplir, un fils à élever autrement que par les livres, dans la