Page:Berteval-Le theatre d'Ibsen, 1912.djvu/300

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
278
LE THÉATRE D’IBSEN

Asta est la demi-sœur d’Allmers par son père. Orphelins de bonne heure, les deux jeunes gens ont vécu longtemps dans une tendre intimité. A mainte reprise, Allmers parle avec émotion de cette affection de frère à sœur, de cette amitié qu’il a crue tout idéale, basée sur la seule communion des esprits, et libre des troubles de la chair et des aveuglements de l’instinct. Mais déjà il n’était plus entièrement sincère avec lui-même, déjà, devant cette sœur trop aimée, ce cérébral inconscient sentait s’éveiller en lui la nature, et obéissait à l’appel de la femme. Un souvenir, souvent rapporté, laisse pressentir le trouble de sa tendresse : parfois Asta, se rappelant que ses parents avaient souhaité à sa place un garçon, endossait des vêtements masculins, et c’étaient avec son frère des occasions de parties folles. C’était un secret entre les jeunes gens, secret innocent d’ailleurs, mais délicieusement troublant, par le contraste de ce travesti d’Asta et de son charme de jeune fille.

Trouble naturel, et où il ne faut voir rien de pervers. Asta surtout, comme le fait observer le comte Prozor, est une fille saine, sans rien de fade ni de romanesque.

Quant à Allmes, il ne tarde pas à éprouver le désir d’une tendresse plus réelle. Il entend l’appel de la vie ; il lui faut plus que de vagues émotions ; il a besoin d’une femme de chair, et de la tendresse solide d’une épouse. Cette épouse, c’est Rita, créature de force et de passion, et qui, comme il le dit, l’a conquis par « le feu dévorant de sa beauté. » Elle lui a plu peut-être aussi par sa bonté — la bonté des forts que la passion étouffe quelquefois, mais que les cir-