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iv
PRÉFACE


sous le jour que je viens d’indiquer. Il était, de nature, tout énergie et tout sensibilité, et, dans son enfance, nous rapporte la biographie de M. Jæger, dont il m’a recommandé la lecture, la seconde étouffait même la première. Mais celle-ci s’éveilla peu à peu, d’abord instinct de résistance et de conservation, puis volonté de puissance, pour me servir de ce terme nietzschéen, qui, au moins dans cette circonstance, se trouve être le plus exact qui puisse s’appliquer à l’affirmation d’une individualité, à la manifestation de l’homme dans un homme. Plus tard, très tard, comme vous l’avez si heureusement marqué, le second des éléments primordiaux de son être, de tout être, de tout homme, de l’homme, l’élément sensible, refoulé durant de longues années de luttes, suscite en lui une nouvelle révolte, contre-partie de la première, de celle qui domine presque tout son œuvre. Mais cette révolte, celle du sentiment sacrifié à la volonté, s’annonçait dès le début, bien qu’elle n’apparût encore que comme une lueur fugitive, suffisante cependant pour jeter un jour d’incertitude et de doute sur tout le reste, ce qui n’est pas le charme le moins troublant de la poésie ibsénienne. Tel le Deus charitatis qui termine Brand. Que ce Deus charitatis fût au fond d’Ibsen lui-même, que cet élément divin fût un élément profondément humain ne me paraît pas douteux. Ayant fait de son héros un prêtre, il maintient à l’œuvre sa couleur théologique et parle dans ce latin d’église qui conserve encore des droits dans beaucoup de pays protestants, en Angleterre et en Scandinavie, par exemple. Mais le sens de ce mot de la fin n’est pas théologique, il est lyrique. Ce qμi l’a dicté n’est pas un acte de foi ni de piété, c’est une plainte intérieure, consciente ou non, involontaire sans doute et d’autant plus poignante.