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iii
PRÉFACE


« le surnaturel lui est étranger. » Non, en vérité, je m’en aperçois trop tard, il ne suffit pas de commencer le mot « homme » par une majuscule ni de faire imprimer « surnaturel » en italiques pour préciser ce qu’on entend dire dans des matières aussi subtiles ! Eh bien ! je tâcherai de m’expliquer d’une manière moins graphique et peut-être aurai-je le bonheur de vous faire constater que nous sommes d’accord, tout au moins quant au fond.

C’est dans ma préface de Brand que j’ai, pour la première fois, tàché d’établir à quelle. conception se rattachait la pensée d’Ihsen, en ce qui concerne la question fondamentale de l’unité des choses. J’ai nommé Schelling, et cela suffisait, croyais-je, à montrer que, si l’auteur de Brand est un moniste et un moniste pour qui l’homme est le centre de l’univers, son monisme n’a rien à faire avec celui de Hæckel, qu’il est d’essence métaphysique et que l’homme dont il parle, incarnation de la volonté, et, par elle, souverain du monde, n’est pas le produit suprême des forces de la nature, mais l’archétype préexistant à l’évolution naturelle et sociale, l’idéal qui vit en chacun de nous, mais que nous n’aperçevons hors de nous que déformé par les contingences de la vie. Cette déformation nous blesse et nous révolte dans la proportion même où nous nous sentons hommes dans la plus haute acception du terme, c’est-à-dire êtres de volonté, laquelle, pour Ibsen, est un des principes qui constituent le divin, l’autre s’appelant charité, amour. Vous l’avez fort bien dit, il était beaucoup plus poète que philosophe, et ce n’est pas autant par la spéculation (quoiqu’il s’y fût souvent livré) que par le sentiment de son propre être (car c’était un lyrique, comme presque tous les grands poètes de notre temps} qu’il est arrivé à voir le monde