À qui dois-je plustost consacrer mon service,
Qu’à ce divin esprit de graces revestu ;
Dont le servage apprend à mespriser le vice,
Et qu’on ne peut l’aymer qu’en aymant la vertu.
Je vante ma desfaite ainsi qu’une victoire,
Quand je voy ce bel oeil, cet astre de mon heur,
Dédaigner tous les cœurs immolez à sa gloire,
S’ils ne luy sont offerts sur l’autel de l’honneur.
J’en adore la grace immortelle et mortelle,
Qui rend d’un seul regard mille esprits enchantez,
Et fors qu’en un miroir dont la glace est fidelle,
Ne voit rien en ce monde approcher ses beautez.
Puis je dis tout ravy, c’est en vain que j’espere
Les loyers proposez aux desirs d’un amant :
Il ne faut reputer ma peine pour salaire,
Et penser que le fruict s’en recueille en semant.
L’honneur de la servir paye assez mes services,
Si les contentements que la gloire produict
Meritent qu’on prefere aux plus rares delices
La peine et les travaux dont l’honneur est le fruict.
Et bien suis-je honoré de vous servir, madame,
Esclave de ces mains dont la beauté me prit,
Puisque je suis un corps de qui vous estes l’ame :
Et que le corps s’honore en servant à l’esprit.
Mais que dis-je, ô beauté, que Venus mesme envie,
Vous n’estes point mon ame, et je m’en vante à tort :
L’ame cherit le corps, et luy donne la vie,
Et vous par vos rigueurs vous me donnez la mort.
Je faux, il paroist bien que par vous je respire,
Mais comme en un flambeau que l’on renverse en bas :
La cire esteint le feu, bien qu’il vive de cire,
Ainsi de vous me vient la vie et le trespas.
Or faictes que je meure, ou faictes que je vive,
Jamais vostre beauté ne mourra dedans moy,
Mon cœur ne peut changer pour change qui m’arrive,
Le sort n’a point d’empire à l’endroit de ma foy.
Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/577
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