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Rien ne tenoit mes pas loin des siens écartez,
Je luy guidois la main ; j’estois à ses costez ;
Ains j’estois en luy mesme, et faisois voir sans cesse
Que son esprit m’avoit pour eternelle hostesse.
Mais puis que maintenant la paix l’a desarmé,
Tenant Mars desormais en son temple enfermé,
Je cedois au desir de ma tranchante épee
Qui ne peut longuement rester non occupee :
Et tandy que son cœur de repos amoureux
Me rend comme inutile à son bras valeureux,
Je m’en allois ailleurs chercher quelque autre terre
Qui servist de theatre aux fureurs de la guerre,
Pour me voir derechef és combats moissonner
Les palmes dont son bras m’y faisoit couronner.
Car d’animer tousjours du feu de ma vaillance
Le courage insensé des jeunes de la France,
Mon cœur n’y consent plus, les voyant si souvent,
Pour des sujets legers nais et nourris de vent,
Avancer de leurs jours les bornes naturelles,
Et s’immoler sans cesse à de folles querelles,
Où presque le vainqueur rougit d’en triompher,
Et pour qui mettre au poing la vaillance du fer,
Outre que la victoire en est digne de larmes,
C’est prophaner l’espee, et la gloire des armes.
Non que je trouve estrange en des cœurs si boüillants,
Que pour le point d’honneur, l’idole des vaillants,
Un cavalier sensible aux pointes des outrages
Avanture sa vie à d’evidents naufrages,
Puis qu’estant sans honneur, on est sans sentiment,
Si l’on ne juge point la vie estre un tourment :
Mais je voudrois qu’on sçeust, non par l’apprentissage
D’un cœur vaillant sans plus, mais d’un vaillant et sage,
En quoy peut consister ce riche point d’honneur
Pour qui perdre la vie est au monde un bon-heur.
Car une telle yvresse emplit les fantasies
De ceux dont ceste erreur tient les ames saisies,
Que tel estimera son honneur offencé
Dendurer quelque mot en joüant prononcé,