Et par une fureur d’ame desesperee,
Ne se point eslancer à la mort asseuree :
Il nous refuse encor, sans se vouloir laisser
Arracher de sa place, et moins de son penser.
Alors plus que jamais laschant la bonde aux larmes,
Desireux de la mort je recours à mes armes :
Car, helas ! Quel advis soudainement naissant,
Ou quel party s’offroit en un mal si pressant ?
Ô pere, as-tu bien creu que j’eusse le courage
De m’esloigner d’icy, t’y laissant au carnage ?
Est-il cheut de la bouche et du cœur paternel
Un mot si condemnable au silence eternel ?
Si c’est l’arrest des dieux que rien ne vive au monde
Reste d’une cité si grande et si feconde,
Si mesme en ce desir ton cœur veut persister :
Et si, plein de fureur, il te plaist d’adjouster
Ta ruïne et la nostre à la perte de Troye,
La cruauté du sort t’en vient d’ouvrir la voye :
Bien tost arrivera Pyrrhe cet inhumain,
Teint du sang de Priam, qui meurtrit de sa main
Le fils devant le pere, et d’une rage extrême,
Contre l’autel apres meurtrit le pere mesme.
Ô soucy maternel ! Ne m’as-tu dégagé
Des armes et des feux qui m’avoient assiegé,
Qu’afin qu’entrant icy l’insolence adversaire,
Je voye et mon enfant, et ma femme, et mon pere,
Frappans l’air de sanglots et de cris desolez,
Dans le sang l’un de l’autre en fureur immolez ?
Mes armes compagnons, rapportez-moy mes armes :
L’arrest du dernier jour me rappelle aux allarmes.
Rendez moy derechef aux coups des ennemis :
Laissez moy r’enflamer les combats intermis.
Nous aurons pour le moins cette vaine allegeance
De ne mourir point tous aujourd’huy sans vengeance.
Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/346
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