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 tenoient-ils les champs sous leurs ventres baveux,
Leurs yeux ensanglantez ardoient de mille feux :
Les langues qu’ils dardoient, de venin distilantes
Léchoient le sale bord de leurs gueulles siflantes.
Nous, les voyants venir, fuyons tous éperdus :
Eux sur Laocoon ayants les yeux tenduz,
N’en veulent qu’à luy seul, c’est luy seul qu’ils menassent,
Et de premier abord, se ployant ils embrassent
Avec les nœuds serrez de leurs fermes laçons,
Les tendres petits corps de ses deux enfançons :
Déchirent par morceaux leurs membres miserables :
Et puis, comme y portant des armes secourables
Avec haste et douleur il fut couru vers eux,
Ils l’estreignent luy-mesme és prisons de leurs nœuds.
Et desja les grands tours de leurs chaines spiralles
Avoient fait sur les reins deux ceintures égalles,
Et leur dos jaulne-verd d’écailles herissé
Tenoit desja son cou par deux fois embrassé,
Qu’encor dessus son chef l’un et l’autre domine
Et le va surmontant de teste et de poitrine.
Luy, maintenant essaye avec ses fortes mains
D’arracher de leurs nœuds ses miserables reins,
Estant desja sa teste, et ses bandes plus sainctes
Couvertes de venin et de sang toutes teintes :
Maintenant il envoye aux oreilles des dieux
Mille effroyables cris volants jusques aux cieux,
Et mugit de douleur, comme faict par la plaine
Le taureau qui frappé d’une hache incertaine,
Sanglant et furieux s’enfuit loing de l’autel,
Ayant par un détour trompé le coup mortel.
Mais en fin les dragons se sauvent par la fuitte
Dans la demeure saincte à Minerve construitte :
Et là, dessous ses pieds fierement démarchez,
Et sous son grand pavois ils se tiennent cachez.
Lors une peur nouvelle effrayant les pensees
Se coule avec horreur dans nos veines glacees :
Tous disent qu’un supplice à bon droit merité
Du fier Laocoon poursuit l’impieté,