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Et le plus cher object qui vive en ma memoire.
Je jure la terreur de l’empire des morts,
Et Styx de qui je vois outrepasser les bords,
Que ny voir en sa fleur ma jeunesse fauchee,
Ny de nostre maison l’esperance arrachee,
Ny penser que ma mort va tuer de douleur
Ma moitié miserable entendant ce malheur :
Ny prevoir les souspirs et les larmes ameres,
Que sur moy répandront et pere, et mere, et freres :
Ny mille autres ennuis ma mort accompagnans,
Ne percent point mon cœur d’éguillons si poignans,
Comme est celuy de voir qu’une mortelle absence
Me ravit pour jamais l’honneur de ta presence :
Regret continuel qui l’esprit me remord,
Et qui me fait encor mourir apres ma mort.
C’est pourquoy je requiers pour ma gloire derniere,
Qu’on t’apporte mon corps enfermé dans sa biere,
Afin que de tes mains recevant quelques fleurs,
Et si ce n’est point trop, de tes yeux quelques pleurs,
Il en ressente l’aise en son cœur insensible,
Et qu’il en dorme apres d’un somme plus paisible.
Quant à moy qui vivant entre les bien-heureux
Ne seray plus alors d’aucun bien desireux,
Si m’en esjoüiray-je, et me plaira d’entendre
Ta bouche en souspirant dire à ma froide cendre,
Que tu peux bien jetter quelques larmes pour moy,
Qui mon sang et ma vie ay répandus pour toy.
Ainsi luy dit le songe, et sur ceste parole
Le sommeil en sursaut loin de ses yeux s’envole,
Luy laissant les esprits d’horreur envelopez,
Et la jouë et les yeux de larmes tous trempez.
Il est vray qu’entr’ouvrant sur ces plaintes dernieres,
Avec un grand souspir, sa bouche et ses paupieres,
Et ses esprits adonc leur erreur démentans,
Il essuya les pleurs de son front degoutans,
Lors qu’il fit seulement cognoistre à sa pensee
Que de ceste advanture à son ame annoncee,